jeudi 26 décembre 2013

Frédéric Back...

Voilà un bien triste cadeau de Noël. Dans son édition numérique de ce matin, le journal Le Monde signalait la disparition du réalisateur et dessinateur Frédéric Back. Ce français, né en Sarre en 1927, à une époque où ce territoire germain était rattaché à la France, était tombé amoureux fou d'un territoire sauvage, mystérieux et cousin : le Québec. Parti pour Montréal en 1948, il y enseigne aux Beaux-Arts avant de rejoindre Radio-Canada en 1952 et d'y devenir illustrateur. 

Ses talents de dessinateur vont se révéler au grand écran à partir des années 70 et vont l'amener à la consécration dans les années 80. Ecologiste amoureux, végétarien et grand engagé dans la protection de la nature et des animaux, Frédéric Back dédie tout son art à ses combats. Dans Tout Rien (1978), dessin animé un brin créationniste, Back raconte les difficultés d'un Dieu silencieux à trouver une place à son Adam et à son Eve. Il y pointe l'insatisfaction constante de notre espèce, incapable de trouver et de choisir sa place, que ce soit sur la terre, dans les mers ou dans les cieux, et constamment à se plaindre d'être délaissée par le créateur. Ces humains colériques et pleurnichards en viennent à trahir celui qui leur a donné vie, en pillant son monde d'abondance, emportés dans la surconsommation et l'apparat, et finissent même par le tuer d'une lance en plein visage. 

Tout Rien (1978)

Le travail de Back ne s'arrêtait pas à une contemplation désabusée de l'incapacité des hommes occidentaux à vivre en harmonie avec la nature. Son oeil critique, souvent sévère et emprunt d'une empathie profonde envers le règne animal, était accompagné d'une réflexion historique sur la culture québécoise et sur la culture de la destruction de l'occident européen. Dans Crac ! (1981), il dresse l'histoire d'une famille québécoise qui vit le passage de la paysannerie à l'urbanisation, au travers du sort d'un fauteuil à bascule qui traverse les générations avant d'être jeté aux ordures et récupéré in extremis par un gardien de musée. Ce court-métrage de 15 minutes lui vaudra au 1982 son premier Oscar du meilleur film d'animation. Dans Le Fleuve aux grandes eaux (1993) Back conte l'histoire du Québec par le biais de son fleuve mythique, le Saint-Laurent. Ode magistrale à la richesse de la biodiversité, le film se meut peut à peut en un portrait triste et violent de l'exploitation marchande d'un fleuve nourricier, épuisé par la pêche, l'exploitation des tanneries, l'industrialisation et la pollution. 

Crac ! (1981)

En 1988, Back glane son second Oscar pour son adaptation de Giono, L'Homme qui plantait des arbres. C'est la première fois qu'un texte littéraire lu par un comédien, en l'occurrence Philippe Noiret, est adapté en film d'animation. Le style de Back est plus épuré, plus doux. Il travaille surtout les transitions dans un récit lent et reposant, dont la portée humaniste et écologiste prolonge la réflexion de l'auteur. 
« J'ai utilisé des crayons à la cire sur l'acétate dépoli, ce qui permet de travailler à plusieurs niveaux les transparences. J'ai dû recommencer une grande partie au début parce que je voulais avoir une image plus riche au niveau de la matière et plus douce aussi. J'avais essayé des encres qui venaient en transparence par dessus l'image, mais n'ayant pas obtenu les résultats souhaités, j'ai dû abandonner ces ajouts. Le plus important était de créer une progression dans un récit où celle-ci est presque imperceptible. C'est comme regarder un arbre pousser, ça ne se remarque pas trop, mais à la fin…». 
A la fin, il reste un travail mémorable à la sincérité jamais altérée, qui renvoie plus aux morales politiques de Miyazaki qu'aux écrits de Thoreau. Dans cet autre pays de la wilderness, un européen a dessiné la beauté de la nature et l'importance de la protéger, non sans un certain traditionalisme vieux jeu, mais avec beaucoup de créativité, de poésie et d'esprit. Et pour Noël, 15 minutes de Back valent assurément tous les Disney...

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