vendredi 13 septembre 2013

Etrange Festival 2013 - Cinquième journée

C'est marrant de croiser Dupontel au bar ou de voir Noé sortir d'une séance (on ne sais laquelle). C'est un des trucs sympas du festival, la proximité entre les festivaliers et ceux qu'ils viennent aduler ou juste découvrir. Ce lundi est une "petite" journée consacrée aux relations parents-enfants. Parents et Found abordent, de façon bien différente, cette riche thématique... A défaut d'être allé voir We are what we are, remake du film mexicain Somos lo que hay, déjà présenté à l'Etrange, ou encore Tore Tantz... 

Parents, réalisé en 1989, est le premier film de Bob Balaban, acteur de métier que l'on a pu voir notamment dans Rencontre du 3e type de Steven Spielberg, Alice de Woody Allen ou encore Gosford Park de Robert Altman (rien que ça). Une famille déménage. Le fiston fait des cauchemars et se pose des questions sur la nature de ce qu'il mange et sur l'étrange obsession de ses parents pour la viande... Il va découvrir au fur et à mesure le cannibalisme et tenter d'y réchapper. Anodin dans son pitch, Parents impose quand même une drôle d'ambiance, assez fascinante. Quelque part entre l'univers onirique de David Lynch, l'exubérance de John Waters et une certaine fantaisie soft à la Tim Burton, le film de Balaban dresse un effrayant portrait de la famille américaine moyenne, partagée entre pudibonderie de façade (de belles couleurs, de belles coiffures, de larges sourires) et perversion cachée (à la cave bien sûr). C'est à la fois léger et terriblement inquiétant, à l'image du paternel camper par Randy Quaid, dont le regard vicieux laisse quelques sueurs froides. Les passages oniriques sont particulièrement réussis et donnent une dimension particulièrement oppressante au film, pas dénué de quelques imprécisions de mise en scène pour autant. 

Journée calme. Le lundi est traditionnellement le jour de fermeture du Forum. Il y a encore deux ou trois ans, le festival faisait lui aussi relâche le lundi mais bon, l'inflation des séances et du nombre de spectateurs fait que... Après l'euphorie du weekend qui aura vu de gros films être présentés (The Agent, 9 mois ferme et surtout Snowpiercer), la tension est un peu redescendu et on peu circuler plus facilement dans les couloirs. Y a que les vrais, les purs et durs qui sont là le lundi, c'est comme ça. On reste dans la salle 300 mais on change totalement de registre. Bad Film est une épreuve, un film somme, une oeuvre que certains diront virtuose, que d'autres diront bordélique voire minable. Il en est que ce film de Sono Sion, d'une durée de 2h44, ne peut pas laisser indifférent. 

Bad Film porte bien son nom. Sono Sion commence à le réaliser en 1995, dans un format vidéo en vogue et économiquement plus abordable que la pellicule. Il a déjà 10 ans de réalisation derrière lui, mais le projet de Bad Film, et son ampleur, dépasse l'implication qu'il a pu avoir dans ses films précédents. Nous voilà plongés dans une guerre de gangs sous fond de racisme, opposant des nationalistes japonais à la communauté chinoise pour la domination de la ville. Très vite, les groupes s'affrontent, se rabibochent, se décomposent et se recomposent, notamment entour de la communauté gay. On avait rarement vu la question homo traitée de cette façon dans un film, encore moins japonais. Ici, la moitié des personnages sont pédés ou lesbiennes et forment des sous-gangs qui prennent bientôt le pas. La question identitaire reste, mais Sono Sion la transpose de la dimension nationale à sa dimension sexuelle, le projet de l'une des lesbiennes étant de renverser purement et simplement l'ordre hétérosexuel qui règne sur la ville. C'est assez décontenançant et, à titre personnel, je n'imaginais pas ça dans un film de Sono Sion (connaissant assez mal sa filmographie par ailleurs...).

Au delà de cette thématique originale, on retrouve les grands traits du cinéma de rue japonais : bastonnades, fusillades, chef de gang à lunettes de soleil... Tout un attirail que le cinéaste déploie sur presque 3 heures de film qui sont, parfois, interminables. Car si Bad Film est visible seulement maintenant, c'est que Sono Sion a pris le temps de le monter ! Dix-sept ans en fait... On aurait pu attendre, de fait, des choix de montage plus tranchés, des coupes plus nombreuses. Mais la matière semble véritablement préservée, jusqu'à créer des moments de gêne intenses chez le spectateur (ce plan fixe interminablement long dans le bar gay). Sono Sion, conscient des très, très nombreuses imperfections de ce film plus expérimental qu'autre chose, a choisi d'en rire et nous offre une séquence d'autodérision savoureuse lorsqu'il arrête le film et montre tous les plans où un membre de l'équipe technique rentre dans le champ d'une caméra. Un peu méta sur les bords du coup, mais surtout borderline et intensément foutraque. Une oeuvre pour le moins singulière qui sera à mettre en parallèle avec l'autre film de Sono Sion présent au festival (en compétition celui-là), Why Don't You Play In Hell ? dont je vous parlerai plus tard... 

On termine la journée avec Found, de Scott Schirmer, une des petites claques de ce Festival. Tourné pour moins de dix mille dollars au fin fond de l'Indiana, Found met un certain temps avant d'affirmer son propos et de dégommer nos petites sensibilités. La faute à une voix off un peu trop présente et à certains morceaux de musique assez écoeurants. Mais très vite, on oublie ces choix de réalisation. Found raconte l'histoire de Marty, un gamin de 12 ans qui découvre que son frère est un tueur en série. Fan de films d'horreur, il va aussi comprendre ce qui a inspiré en partie son aîné et voir, peu à peu, sa vie se transformer en un véritable cauchemar.

Le tournant du film se situe vraiment au moment où le gamin regarde avec un ami à lui le film Headless, un slasher gorissime où l'on comprend que le réalisateur, alors qu'on le pensait un peu gentil et un peu mignon, est capable de déployer, au sein même d'un touchant récit sur les relations fraternelles, une imagerie d'une violence inouïe. A ce moment précis, les spectateurs font la même tête que les gamins devant le film : les yeux grand ouverts, une moue d'effroi, une impression d'impuissance et de fascination perverse terrible. A partir de là, on sait. Le récit peut partir en vrille à n'importe quel moment, et nous emmener véritablement aux confins de l'horreur... Et il ne va pas s'en priver. Le film s'achève sur une séquence d'horreur en hors champ particulièrement impitoyable qui vous serre les tripes. Le dernier plan quand à lui vous habite encore longtemps après la séance tant il est fou.

Bande-annonce 

Cette violence déployée dans Found, alors que franchement, on ne s'y attend pas, sert une peinture assez glaciale des WASP, s'attaquant à la fois au racisme larvé d'une société qui a fait de l'incommunicabilité un "non-savoir vivre ensemble", et aussi à l'aveuglement religieux d'une communauté qui ne comprend pas sa progéniture ni sa responsabilité dans ce qu'elle a engendré. Found met une petite claque. On espère que le film, quasiment invisible en dehors de festivals, va pouvoir trouver un distributeur pour qu'au moins, on puisse avoir un DVD de cette petite pépite. 

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