dimanche 29 décembre 2013

La Désolation de Smaug de Peter Jackson

Que pouvait-on attendre de ce deuxième volet du Hobbit, "modeste" préambule au Seigneur des Anneaux, de 320 pages dans sa version poche, transformé par Peter Jackson en tonitruante trilogie de trois fois 2h40 ? Au vue de Un voyage inattendu, on avait déjà un semblant de réponse : en grand pédagogue, Jackson faisait revenir Frodon et le vieux Bilbon pour une réactualisation visuelle de la précédente trilogie, avec reprise des décors, des figures, des visages, des lieux... L'introduction du premier volet avait tout de rassurant, et c'était bien là l'objectif : plus qu'amadouer, il fallait assurer la frange tranquillement acquise que tout allait repartir comme on l'avait laissé la dernière fois. La Comté et ses paysages champêtres, les obscures forêts ensorcelées, les grottes de la Moria, les vastes landes désertes... La Désolation de Smaug proroge cette démarche : rien, non rien, ne sera fait pour te déboussoler toi, le fanboy de la première trilogie de Jackson. Il faut dire que la méthode est maintenant bien rodée, et elle consiste en deux points particulièrement pernicieux : un affaissement psychologique total des personnages porté jusqu'à l'infantilisation et une soumission de l'intrigue à l'impératif spectaculaire. 

Disons le franchement, il n'y a pas de personnages dans cette trilogie, il n'y a que des ersatz de figures, de vagues contours rapidement esquissés, une pelletée d'enfantillages consternants et de rustres performances physiques grimaçantes. Que dire du personnage de Thorin ? L'une des thématiques centrales de l'oeuvre de Tolkien est la tentation. Celle des hommes face aux pouvoirs que pourrait leur conférer l'anneau ; celle d'une frange des elfes quant à certaines prétentions territoriales ; celle des nains face à l'or qui jonche le sol de leur royaume sous la Montagne. Durant les 5h20 de ces deux premiers épisodes, Thorin n'est effleuré par une prémisse de doute qu'au moment où Bilbon est dans Erebor, à batailler avec le Dragon. Alors, là, oui, il a l'oeil qui tourne et ne sait plus trop si c'est le trésor et son prestige qui compte ou bien son ami le Hobbit... Sinon ? Bah vous pensez bien, il est trop occupé à se faire une descente de rivière en tonneau, comme s'il était au parc Astérix le gus... 

Que dire également du personnage de Bilbon ? A croire que, parce qu'on est un personnage de petite taille, on doit être considéré comme un enfant en permanence. Je suis de mauvaise foi : c'est également le sort que réserve Jackson à tous les nains qui l'accompagnent. Une bande de vieux enfants, aux caractères aussi complexes et trempés que ceux de Blanche-Neige... Bilbon n'existe pas ; car mis à part les quelques grimaces facétieuses ou énervantes, c'est selon, son rôle est également réduit à la portion congrue. S'il se met à jouer plusieurs fois avec son petit anneau, il n'évoque son effet tentateur et déstabilisant qu'à une seule reprise : le ridicule moment où il confie à Gandalf avoir trouvé son courage, à l'orée de la forêt... Sinon ? Rien, lui aussi à autre chose à faire que d'exister : il doit tuer des araignées géantes et voler des clefs... 

On pourrait s'attarder longuement sur chacun des personnages. Celui de Legolas est assez drôle. On se demande comment ce Legolas là a pu devenir celui du Seigneur des Anneaux... Outre l'incohérence de caractère, on admire l'incohérence physique. Ouais, Orlando Bloom a pris dix piges entre temps et ça se voit drôlement... M'enfin, ça, à la rigueur, c'est indépendant de Peter J. Quoi que, quand on voit ce que Fincher avait fait de Brad Pitt sur Benjamin Button, on peut lui reprocher d'utiliser à tort et à travers la CGI et de ne rien faire pour ça. 

Chaque personnage est donc réduit à son rôle d'acteur ; comprendre qu'il n'existe que dans son action, par et pour celle-ci. Ce qu'ils pensent ou pourraient penser ? Aucune importance. Ils ne sont là que pour répondre aux exigences scénaristiques, sans aucune autonomie intellectuelle. On a parfois l'impression que Jackson ne sait plus quoi faire de sa horde de nains d'ailleurs. Alors oui, du coup, et parce que sinon ça manque de glamour, il y en a bien un qui tombe amoureux de Tauriel. Pourquoi ? Va savoir... C'est ennuyeux, voire gênant. Mais vraiment. Car terriblement naïf et infantile. Une rencontre d'adolescents enfermés chacun dans leur cachot (lui prisonnier des Elfes, elle prisonnière de l'attachement de Legolas auquel elle ne consent pas), et pendant une fête elfique consacrée à la lumière des étoiles... Voilà, un nain utile : il remplit sa mission glam' et romantique. On peut cocher cette case dans le cahier des charges ! Tâche suivante...

Mis à part le flash back particulièrement inutile qui ouvre le film, La Désolation de Smaug est d'une linéarité confondante. C'est un peu comme suivre un marathon (ça dure environ le même temps en plus...) : on court dans la forêt. Il y a embuche, tout semble perdu mais hop, on trouve une solution complètement dingue qui en envoie plein les yeux aux spectateurs et on repart courir, dans une prairie cette fois, ou dans un village, on retombe dans un piège, etc. De la philo ? De la psycho ? De la politique ? S'il fallait jauger le cinéma de Jackson au milieu de notre décennie, il souffrirait terriblement de la comparaison avec Game of Thrones... Infantile plus qu'enfantin, le cinéma de Jackson renvoie une image puérile de lui-même au spectateur, conforté dans son éternelle adolescence, dans son univers dépolitisé, où l'humour se dresse même dans les pires situations, dans sa masturbation sans jouissance ou plutôt dans sa jouissance sans sperme. A ce titre, Game of Thrones apparaît comme un retour à la modernité : une violence complaisante, certes, mais une tension politique terrible, des enjeux vertigineux et de véritables dilemmes qui interrogent l'exercice du pouvoir et ses tentations, l'humanité et ses organisations sociales. Si la série télé d'HBO n'est pas exempte de défauts, elle a le mérite de remettre la chose politique au centre d'une medieval fantasy féroce et cruelle : oui, spectateur, je te prends au sérieux et je vais briser certains de tes rêves de gosses parce qu'un coup de pied au cul ne peut pas te faire de mal. 

Rien chez Jackson n'a cette perspective. Rien chez Jackson, si ce n'est la 3D, n'a de perspective. Pour peu que je me souvienne (et ma mémoire peut défaillir...), le premier plan du film est un plan sombre sur une ruelle d'un village boueux noyé sous une épaisse pluie nocturne. Par la gauche, un gros monsieur sort d'une baraque, mord dans ce qui semble être un morceau de viande et crache son morceau par terre avant que la caméra n'avance et que l'homme disparaisse. Cet homme n'est autre que Peter Jackson, habitué des petites apparitions dans ses propres films. Pour sûr que ce crachat inaugural renseigne plus, à mes yeux, l'attitude de Jackson vis à vis de l'oeuvre de Tolkien, que n'importe quel geste cinématographique de sa part... 

En complément, le très bon article du Monde, qui était parti l'an dernier à la rencontre du fils de J.R.R. Tolkien, Christopher, relatant son gigantesque travail de valorisation du travail de J.R.R., et son désespoir vis à vis de ce que Jackson a fait de l'oeuvre de son père. A lire ici

jeudi 26 décembre 2013

Frédéric Back...

Voilà un bien triste cadeau de Noël. Dans son édition numérique de ce matin, le journal Le Monde signalait la disparition du réalisateur et dessinateur Frédéric Back. Ce français, né en Sarre en 1927, à une époque où ce territoire germain était rattaché à la France, était tombé amoureux fou d'un territoire sauvage, mystérieux et cousin : le Québec. Parti pour Montréal en 1948, il y enseigne aux Beaux-Arts avant de rejoindre Radio-Canada en 1952 et d'y devenir illustrateur. 

Ses talents de dessinateur vont se révéler au grand écran à partir des années 70 et vont l'amener à la consécration dans les années 80. Ecologiste amoureux, végétarien et grand engagé dans la protection de la nature et des animaux, Frédéric Back dédie tout son art à ses combats. Dans Tout Rien (1978), dessin animé un brin créationniste, Back raconte les difficultés d'un Dieu silencieux à trouver une place à son Adam et à son Eve. Il y pointe l'insatisfaction constante de notre espèce, incapable de trouver et de choisir sa place, que ce soit sur la terre, dans les mers ou dans les cieux, et constamment à se plaindre d'être délaissée par le créateur. Ces humains colériques et pleurnichards en viennent à trahir celui qui leur a donné vie, en pillant son monde d'abondance, emportés dans la surconsommation et l'apparat, et finissent même par le tuer d'une lance en plein visage. 

Tout Rien (1978)

Le travail de Back ne s'arrêtait pas à une contemplation désabusée de l'incapacité des hommes occidentaux à vivre en harmonie avec la nature. Son oeil critique, souvent sévère et emprunt d'une empathie profonde envers le règne animal, était accompagné d'une réflexion historique sur la culture québécoise et sur la culture de la destruction de l'occident européen. Dans Crac ! (1981), il dresse l'histoire d'une famille québécoise qui vit le passage de la paysannerie à l'urbanisation, au travers du sort d'un fauteuil à bascule qui traverse les générations avant d'être jeté aux ordures et récupéré in extremis par un gardien de musée. Ce court-métrage de 15 minutes lui vaudra au 1982 son premier Oscar du meilleur film d'animation. Dans Le Fleuve aux grandes eaux (1993) Back conte l'histoire du Québec par le biais de son fleuve mythique, le Saint-Laurent. Ode magistrale à la richesse de la biodiversité, le film se meut peut à peut en un portrait triste et violent de l'exploitation marchande d'un fleuve nourricier, épuisé par la pêche, l'exploitation des tanneries, l'industrialisation et la pollution. 

Crac ! (1981)

En 1988, Back glane son second Oscar pour son adaptation de Giono, L'Homme qui plantait des arbres. C'est la première fois qu'un texte littéraire lu par un comédien, en l'occurrence Philippe Noiret, est adapté en film d'animation. Le style de Back est plus épuré, plus doux. Il travaille surtout les transitions dans un récit lent et reposant, dont la portée humaniste et écologiste prolonge la réflexion de l'auteur. 
« J'ai utilisé des crayons à la cire sur l'acétate dépoli, ce qui permet de travailler à plusieurs niveaux les transparences. J'ai dû recommencer une grande partie au début parce que je voulais avoir une image plus riche au niveau de la matière et plus douce aussi. J'avais essayé des encres qui venaient en transparence par dessus l'image, mais n'ayant pas obtenu les résultats souhaités, j'ai dû abandonner ces ajouts. Le plus important était de créer une progression dans un récit où celle-ci est presque imperceptible. C'est comme regarder un arbre pousser, ça ne se remarque pas trop, mais à la fin…». 
A la fin, il reste un travail mémorable à la sincérité jamais altérée, qui renvoie plus aux morales politiques de Miyazaki qu'aux écrits de Thoreau. Dans cet autre pays de la wilderness, un européen a dessiné la beauté de la nature et l'importance de la protéger, non sans un certain traditionalisme vieux jeu, mais avec beaucoup de créativité, de poésie et d'esprit. Et pour Noël, 15 minutes de Back valent assurément tous les Disney...

mercredi 25 décembre 2013

Albator, Corsaire de l'espace de Shinji Aramaki

Comme une madeleine de Proust qu'on aurait trempée dans de l'huile de foie de morue. Tout avait pourtant bien commencé. Un teasing efficace (comment pourrait-il en être autrement en ces heures de marketing viral ?) puis une première bande-annonce qui, malgré sa soundtrack criarde et légèrement irritante, dévoilait, ou plutôt, laissait espérer, les contours d'un space opera richement mis en scène et animé avec esprit. Déjà je sentais fourmiller quelques enfantines envies, une excitation toute juvénile et un brin électrique, comme une poussée d'hormones... Et puis Noël, les festivités, l'ambiance un peu douce et hallucinée de l'après-festin, comme une gueule de bois où rien n'a l'air vraiment réel et où, pourtant, rien n'est véritablement impossible non plus. Je traîne sur l'ordi, regarde des bandes-annonces, pour la énième fois celle d'Albator. Ma mère surgit de nulle part, se poste derrière mon dos et témoigne avec vigueur de son excitation : elle veut le voir. C'est l'argument de trop : quoi de plus noble, en ce 25 décembre que de faire un geste altier et altruiste ? "Maman, enfile tes jambières et ta parka fushia, j't'emmène voir la mer au CGR de Torcy". 

Je n'ai pas de problème de nostalgie. Albator, s'il est une figure importante du panthéon de mon enfance n'est pas non plus un intouchable mythe. De manière générale, je conçois très bien qu'on déconstruise les mythes. Il arrive d'ailleurs, que ce soit une entreprise salutaire, voire profitable. Que l'on partage ou pas les points de vue politiques de Nolan, on doit admettre que sa relecture de Batman est intéressante. Certes, il est plus difficile d'en dire autant des réactualisations de Tron ou de Dragon Ball Z... Force est de constater que la version d'Aramaki, bien qu'auréolée de la bénédiction de l'auteur Leiji Matsumoto, souffre de trois problèmes impardonnables et qui resteront impardonnés pour longtemps. 

Teaser

Et c'est tout d'abord la faute de Harutoshi Fukui et de Kiyoto Takeuchi, les deux scénaristes, qui n'ont pas su insuffler au film une dimension réflexive et humaniste aussi forte qu'elle pouvait l'être dans la version d'origine. Ici, la dénonciation de l'opulence et de la surexploitation des richesses terrestres est remplacée par la menace démographique. Les terriens se sont dispersés dans l'Univers, l'ont pillé et veulent revenir sur Terre. Seulement, celle-ci ne peut tous les accueillir et la Terre est déclarée sanctuaire. Cherchant un sens métaphysique à leur propos, les deux auteurs donnent l'impression de ne pas savoir où donner de la tête. Leur texte est brouillon, faussement complexe, comme s'il dissimulait bien un manque cruel d'enjeux moraux. 

Les space opera, et les films de science-fiction en général, ont ceci de particulier qu'ils sont presque toujours des métaphores de notre présent, une tentative uchronique ou futuriste de dénoncer les travers de notre société. Star Wars s'inscrivait dans une double logique de guerre impérialiste au Vietnam et de guerre des auteurs contre les Studios ; Jin Roh offrait une réflexion sur l'état politique du Japon dans les années 60 et 70 et sur certaines dérives sécuritaires ; le récent Gravity est bien plus une réflexion sur l'avenir et la condition de la femme qu'une ode à la beauté de l'espace. Le scénario de Fukui et Takeuchi se perd, entre considérations écologique et guerre de survie, entre nécessaire recommencement et croyance religieuse dans le pouvoir de résurrection de la nature. Entre un taoïsme révolutionnaire en origami et un miyazakisme spatial aux dialogues qui sonnent comme autant de sentences, de verdicts graves et solennels d'un procès sans accusé. 

On passe donc sur les nombreuses infidélités faites au manga de Matsumoto et à l'animé de Rintaro. Exit les Sylvidres, place à la coalition Gaia (déesse de la Terre dans la mythologie grecque... si c'est pas se creuser la tête ça...). Exit aussi les tenues de none de Nausica, habillée ici comme une tenancière de bordel du Far West... Le deuxième gros problème du film est sa conception 3D terriblement hideuse. Si les graphismes de l'animation sont d'un grand soin pour ce qui est des paysages, des vaisseaux ou des combats interstellaires, ils sont assez calamiteux quand il s'agit de mettre en mouvement les personnages et de leur donner des expressions. Leur faciès est figé, comme un glacis léché de publicité, comme une animation soignée de jeu vidéo, mais sans âme qui vive, sans autre vertigineuse possibilité qu'un froncement de sourcil. Les visages des personnages sont en réalité, à l'image de leur personnalité : lisses et factices. L'échec des techniques de capture du visage est ici étonnant. 

Mais ce n'est vraiment pas sur l'animation qu'il faut blâmer Aramaki car, bien que quelques images soient trop sombres, ce qui est le lot de tous les films en 3D de toute façon, c'est la mise en perspective du film qui est dégueulasse comme pas possible. Ce n'est pas une question d'être pour ou contre la 3D. Pour le coup, l'idée qu'elle puisse être un atout spectaculaire m'avait même effleuré l'esprit. Sauf qu'ici, c'est tout simplement dégoûtant. Les contours bavent horriblement si bien que la moitié de l'image est floue ou dédoublée même avec les lunettes... Les seconds plans sont souvent illisibles, tout comme bon nombre de séquences trop lumineuses (tous les passages dans la verrière, avec les fleurs, etc.). Cela rend le film particulièrement pénible et douloureux, car l'enlaidissement est réel et la perde de qualité patente, surtout pour un film qui, au final, n'a plus que cela à offrir. 

Car il ne faut pas compter sur le plaisir de revoir Albator pour nous remonter le moral. Si le scénario est inutilement alambiqué et la 3D ratée, ne devait-il pas nous rester alors ce petit brin de nostalgie, ce simple plaisir enfantin, cet émouvant sentiment régressif de revoir un visage familier dans un nouvel univers visuel tout entier dévolu à sa gloire ? Diantre. Albator est aussi fantomatique que son vaisseau durant toute la première partie du film, n'apparaissant que par de frustrantes bribes où il ne dit mot, où il n'existe pas. Un spectre qui ne fait que retourner bruyamment sa cape, sans charisme, sans idéaux. Jamais il n'évoque ce qu'est pour lui la liberté, jamais il ne donne une dimension lyrique, héroïque, révoltée ou révolutionnaire à sa quête. En réalité, ce n'est l'affaire que d'une pauvre rédemption personnelle. Le drame ! Voilà notre résistant, mystérieux pirate défenseur des libertés humaines, cherchant à s'absoudre et à réparer ses propres erreurs (bon il a quand même foutu en l'air la Terre par ses conneries, mais tout de même, ça change pas mal de choses...). Psychologie de comptoir au beau milieu de l'espace intergalactique... Parole de Maman, on est loin de l'Albator 78 et de l'Albator 84... 

mardi 10 décembre 2013

DELTRON 3030 - Trianon, Paris

L'importance du projet avait presque de quoi faire peur. Finalement, que peut-on attendre d'un super groupe hip hop aussi bien gaulé,quand sur disque le groupe enchaîne chef d'oeuvre et coup de maître ? Si le premier Deltron, terreau de Gorillaz, faut-il le rappeler, était un album culte, sa suite, longtemps attendu se place dans le cadre difficile de devoir honorer le passé... Event II est un album qui ne démérite pas au côté de son ancêtre. Et sur scène ? On y va par curiosité, et en ce qui me concerne, je dois l'admettre, pour voir Del The Funkee Homosapien, un des plus importants et charismatiques MCs de ces deux dernières décennies.

La première idée brillante, c'est de laisser place à Kid Koala pour ouvrir. Non seulement le DJ nous permet de prendre la température d'un point de vue soundsystem, mais également de faire une démonstration impeccable. Fou et particulièrement enjoué, le type est aussi bon techniquement qu'il est un fin "selector". Un hommage appuyé aux Beastie ("pass the mic" et "So watcha want" hurlent dans la sono pendant qu'il crie "RIP MCA Beastie Boys!!"), un Second Bad Vilbel dAutechre muté en pâteuse agression lourde, un Machinegun de Portishead renforcé rythmiquement, et surtout un incroyable Poison Dart de Kevin Martin, collègue de label, sont parmi les morceaux qui pilonnent la salle grâce au son colossal que délivre les enceintes du Trianon. Plus technique, il est capable d'enchaine musique hystétique  pour enfants (Yo gabba gabba) avec un morceau plus solennel, où il ajoute à un chant féminin très sobre de magnifiques sonorités de sirènes qu'il accole mélodiquement au squelette originel. Sans être de la trempe d'un Mix Master Mike, il est un technicien sérieux, appliqué et créatif. On apprécie d'autant plus que Kid Koala joue sans laptop, sans serato, et pioche chaque morceaux dans une mâle à vinyle. Le genre de pratique qui semble presque d'un autre âge.

Vingt minutes de pause et c'est un orchestre d'une douzaine de musiciens qui prend place, ainsi que 4 choristes. Un batteur qui semble avoir peur de faire mal à son kit et un guitariste qu'on jurerait échappé d'un groupe de stoner japonais s'installe également, accompagné de Juan Alderte, bassiste de feu Mars Volta. On sait que le carnet d'adresse de Dan The Automator est important, et il le prouve en prenant le premier intermittent possible pour tenir la 4 cordes. Dan The Automator, producteur de l'album et tête pensante du projet, joue la carte du chef d'orchestre au pied de la lettre. En queue de pie, il mène son orchestre (ou son contrôleur MIDI) à la baguette. Pourquoi pas. Producteur de l'ombre,  responsable de quelques réussites pop (Gorillaz) et d'autres chef d'oeuvre  (Handsome Boy Modeling School, Dr Octagon...) sa présence est singulière mais justifiée. Devant, c'est Del qui sera l'incarnation de ce projet fou, sorte de SF sonique rugueuse et ambitieuse, qui s'appuie autant sur les sons galactiques que les orchestrations de William Sheller. Empereur de l'underground, Del est surtout connu pour être la voix du tout premier maxi de Gorillaz, et aussi pour être le cousin d'Ici Cube qui, avant de jouer dans Anaconda, avait sorti quelques bons disques, et produit le premier LP du MC. Del est un de ces rappeurs au talent souvent mis en avant mais aux succès modeste. Pourtant, ses albums sont toujours de très bons enregistrements, de son classique 'No Need for Alarm', à des choses plus récentes comme son album avec Tame One ou "Funk man". Flow élastique, paroles barrées, le type fait partie des grands du rap indé. Avec un line up aussi impressionnant et solide, on se fait forcément petit quand résonne "3030", morceau inaugural du premier enregistrement, renforcé par l'improbable orchestre. Cuivres et cordes sont amples et le son est décuplé, la beauté de la partition initiale est magnifié par le live et l'affiche. Del est particulièrement à l'aise avec ses paroles et son flow en caoutchouc donne l'impression d'une facilité pour lui. Il joue avec une tranquillité comme un instrument à part entière, sans forcé, tout en habitant la scène de petites danses qui me remémorent le genre de gestuel que peut avoir 3D de Massive Attack.

90 minutes de show, allant piocher aléatoirement dans les deux albums, voilà ce que propose cet ensemble assez impressionnant, mené avec talent par ses 3 cerveaux. Dan the Automator fait surtout le spectacle, mais Kid Koala habille de milles sons et textures les morceaux avec l'intelligence qu'on célébrait déjà lorsqu'il entamait la soirée. Del, du haut de ses 27 kilos assure un spectacle en décalage totale (il est en survet et se pointe en skate) mais incarne son personnage et son univers avec conviction. Forcément, le groupe a annoncé des invités sur ses dates européennes. Alors on se permet de croire que De La Rocha a suivi son pote de Mars Volta. On imagine que Damon Albarn a pris un billet d'Eurostar pour faire quelques morceaux. On espère Mike Patton. On aura... Anaïs, dont Dan vient de produire l'album. Faut-il vraiment souligner la surprise et la déception ? Et si Albarn n'est pas venu, le show se clôture en dernier rappel sur... "Clint Eastwood". Beaucoup ont parlé de "reprise", mais finalement, quoi de plus logique ? Deltron a préfiguré Gorillaz il y a plus de 10 ans et la paire Del/Dan est responsable du morceaux autant que le chanteur de Blur. Les voir se ré-approprier cet énorme morceaux dans le cadre de Deltron est jouissif. Comme un puissant rappel de leur créativité, de leur génie, mais aussi comme un moyen d'exorciser une absence de 13 ans, puisque pendant longtemps, Clint Eastwood fut la dernière trace sonore du groupe. Très belle conclusion pour une performance incroyable d'un groupe inventif, intelligent, qu'on espère encore inspiré pour la suite.

jeudi 28 novembre 2013

RUN THE JEWELS - Pan Piper, Paris.

Je n'avais jamais entendu parler du Pan Piper avant cette date. Bien localisé pourtant, puisque derrière le Souffle Continu, pas loin du père Lachaise. Et la salle gagnerait à se faire connaitre. On s'y gare facilement, le coin est cool. La salle est assez grande -type Nouveau Casino- et le son est très bon. On le vérifie rapidement quand la première partie, un DJ anonyme, passe des mp3 pendant une heure. Sélection hip hop exclusivement, du old school au trap, pas mal foutue, agrémentée de cuts dans tous les sens. Le sound system est solide, les basses sont impressionnantes. D'ailleurs, quand le DJ sort A Tribe Called Quest, on reste persuadé que ce groupe est le plus épais de tous les temps, bien loin devant n'importe quelle formation doom.
J'ai toujours raté El-P depuis 6 ou 7 ans que j'essai de le voir sur scène. Quand c'est pas une tournée annulée, c'est une date oubliée ou une soirée sold out. C'est pas faute d'avoir saigné ces disques et d'en avoir défendu même certain ici. Killer Mike m'intéresse moins, son album solo m'ayant plus fatigué qu'autre chose. Avec l'excellent album de Run The Jewels, il était temps de corriger le tir.
Run The Jewels se déplace en formation simplifiée. Un DJ, un Killer Mike et un El-P. Exit donc les types derrière synthés et instruments qu'on pouvait voir sur leurs vidéos. Trois types seulement qui montent sur scène sur fond de We Are The Champions de Queen. Les types n'ont pas bu que de l'eau et ont le sens du spectacle. Tout de suite s'enchaine alors rien de moins que l'album fraichement sorti, quasi entier, avec assez peu de temps mort, quelques blagues de temps en temps et des "say Run The Jewels" lancé assez régulièrement par  Killer Mike. La paire est particulièrement énergique. El-P donne. Son flow sec et nerveux est renforcé par une énergie vocale surprenante, il en est presque à crier. Courant, dansant, sautant, les deux s'amusent bien et font vivre avec une rage communicative leur set. Toute la scène est arpenté en long et en large par Jaime & Mike faisant de la soirée un véritable show qui ne peut laisser personne de marbre dans la salle. Bien sur, cette énergie est magnifiquement soutenue par les beats et sons concoctés par El-Producto chez lui à NYC dans son abris, qui sur scène prennent leur aspect de punitions SF sonique sur-puissantes. Expédié le temps de 9 morceaux, le groupe revient très rapidement pour lancer 2 morceaux d' El-P (les excellents "Drones over Bklyn" et "The Full Retard", tirés de C4C) et 2 autres de Killer Mike dont un que le type fera directement dans la fosse, sur fond d'une seule infra-basse martelant le rythme.

Ps: la photo n'est pas de moi, si j'en récupère une décente je la mettrais en lieu et place.

lundi 4 novembre 2013

KICKBACK + LENGTH OF TIME + LODGES - Maroquinerie

Le problème avec les groupes de genre qui ouvrent pour Kickback, c'est la difficulté de s'imposer et de paraitre personnel. Kickback étant désormais une bête unique dont l'espèce et la catégorie sont inconnues, le moindre groupe qui "sonnerait comme" pourrait avoir l'air fade. Lodges, placé là dans les derniers instants souffre cruellement d'un manque de personnalité, d'impact. Le fait que le mec à la voix ait à peu près la même que les milliers de formations du genre pullulant sur scène n'aide pas. Le triple K a déjà exprimé sa fatigue à jouer avec toujours le même type de groupe, et si je suis incapable de dire si Lodges ests dans les petits papiers du trio/quintet parisien, l'impression est en tout cas bien là : mention honorable mais musique vaine. Je regrette de pas m'être déplacé pour l'affiche Yussuf/Cobra/KKK l'an dernier, mais c'est bien fait pour ma trogne.
Length Of Time est un groupe (plus ou moins) associé au H8000, soit une formation Belge qui donne dans le teigneux qui a son lot de fanatiques derrière. Les parties chantées sont bien foutues, et ça joue avec une aisance et une puissance certaine. Le batteur notamment appuie une rythmique impeccable.
Kickback fait partie des groupes où il est impossible de savoir ce qu'il va se passer une fois sur scène, sachant que potentiellement tout le monde dans la salle est en danger. A part eux, je ne vois que Gehenna et Oxbow qui sont apte à instaurer le même climat. Et si personne ne vient faire le malin devant Robinson, Kickback ramène un certain nombre de gaziers en survet et qui font des étirements avant le show. Bienvenue à Super Pro ! Et c'est pendant Length Of Time, finalement, que le gros de la soirée côté public va se passer. A 2 morceaux de la fin, c'est pas loin de 20 types qui se foutent sur la gueule. La situation se tend, l'embrouille gonfle et se déplace dans la salle en effet boule de neige. Et voilà une vingtaine de gars foutus à la porte. 20€ la place. Quitte à se faire sortir, fallait aller ailleurs, le billet étant 2 fois moins cher sur les autres dates de la tournée. Merci la capitale !
Encore 2-3 mouvements ischios-jambiers et quadriceps et on est bons pour accueillir les mecs qui se fendent la gueule avec le Diable. Autant dire que dès que le batteur a terminé de mener la deuxième mesure le constat est clair : Kickback est imbattable sur scène. T'aimes ou t'aimes pas, les petites provocations te font rires ou pas, mais musicalement et scéniquement, c'est la taloche, avec élan certes, mais elle est bien là. Douloureuse. La scène est complètement habitée par les 5, avec un trio solide (Damien/guitare-Stephen/voix-Pascal/basse) et 2 mercenaires (second guitariste et batteur) qui ne font pas de la figuration. Le batteur notamment, arrêtons nous sur le bonhomme. Un type visiblement increvable, qui n'a, d'ailleurs, jamais chaud puisqu'il ne quittera ni sa casquette ni son hoodie de toute la soirée, alors que le gentleman n'est clairement pas économe en mouvements amples. Il tape comme une bête avec une précision remarquable, il ne fait pas tâche suite à Doucet qui tenait les baguettes pour le triple K il y a 10 piges. Je me rend d'ailleurs compte que ça fait 10 ans que je n'ai pas vu le groupe sur scène, pour le mythique concert au Pulp. En 10 ans, la haine a monté en puissance, la rage du groupe sur scène est plus importante encore. Chaque note est investit, chaque hurlement est une incantation, mais jamais sans aller dans une théâtralité metal. Le rapport est physique, le son est palpable, l'ambiance est pesante mais réelle, avec une absence totale de mise en scène.
Le groupe joue massivement des morceaux issus de ces deux derniers disques, "No Surrender" et "Le Diable rit avec nous", n'allant visiter le passé que rapidement. D'ailleurs, en allant jouer un Heaven and Hell en forme de célebration, le groupe prévient les parisiens que ce sera la toute dernière occasion de les voir dans la capitale. C'est dommage si c'est vrai : Kickback est tellement au dessus de toute concurrence sur scène que l'on ne pourra que regretter cette absence. Parce que le groupe ne fait pas que jouer une musique teigneuse et agressive : elle est aussi sauvagement bien branlée dans son "groove" (terme détesté) et son rythme ondulant et efficace. Son rock sale est aussi crade que sinueux, aussi vile qu'addictif.
Au final, on est pas chez Pinder mais on fait les comptes: une bagarre, un coup de tête, 5 ou 6 mollards, une bouteilles jetée à la console, un spot explosé, un retour malmené, 2 jets de micros, et une dizaine d'insultes.


Ps: Si tu passes ici de temps en temps, tu verras que je finirais par mettre une photo du concert. En attendant, c'est l'affiche. Bah oui, on est précaire ou on est pas, on se démerde.

mardi 29 octobre 2013

AUTECHRE - L-Event

Après avoir mis à l'épreuve les plus endurants de ses auditeurs et fanatiques avec un double album aussi passionnant qu'assommant, le duo continue d'exécuter son plan. Le schéma reste le même que pour le coup d'avant : un album et son EP, extension bonus à la thématique identique. Ici, le code de l'intitulé demeure ("exai"=XI=11; "L-event"=eleven=11), l'unité graphique aussi. 25 minutes de concassages électronique sur un vinyle qui semble pouvoir s'insérer dans le coffret dudit album. La rigueur d'Autechre dans toute sa splendeur. C'est à se demander si Booth et Brown ont déjà quelques albums d'avances - on ne parlera pas ici de concepts mais bien d'objets, car comme chacun sait, Autechre fait la musique du futur et l'absence de concurrence se renforce à chaque nouvelle production. Quatre mouvements sont là pour terminer (?) Exai, dans un exercice brutal et martelant. Désormais Ae n'évoque plus rien d'autre que lui même, et les images qu'il peut provoquer à son écoute ne sont plus que forme géométriques digitales rigoureuses et destructions extraordinaires. Le duo se re-plit sur lui-même, sa musique ne semble plus qu'être un déchainement de fréquence et de rythmes incompréhensibles. Les références sont désormais totalement invisibles. Les machines ont pris la tête du projet. La déshumanisation semble même être devenu le mot d'ordre : pas de prestations public, et une seule interview accordée à un magazine japonais pour parler de cette période pourtant riche. Autechre n'a jamais été aussi mutique que lorsque sa discographie se compose de pièces aussi imposantes. On cherche alors attentivement à disséquer cet EP, court, massacrant; à le comprendre. Austère et désarmant.

mardi 22 octobre 2013

NINE INCH NAILS - Hesitation Marks

Reznor avait lancé un concept novateur il y a quelques années : l'auto-split (ou la scission avec lui-même, mais ça, ce n'est ni de lui, ni de moi). Reznor=NIN. Donc quand le "groupe" est sensé raccrocher en 2009 on n'y croit pas une seconde. Depuis sa carrière est partie dans deux versions se répondant logiquement. Une première, sorte d'épouvantail des clous de 9 pouces, mené avec sa femme qui ne laissera qu'un vague souvenir aux auditeurs. De l'autre, un boulot de metteur en son pour Fincher débouchant sur deux bandes originales fabuleuses, passionnantes. Bref, comme prévu, au bout de quelques années le projet reprend forme, convie anciens (Fink, Cortini, Belew de King Crimson qui, on me signale dans l'oreillette, jouait déjà sur le LP de 94) et nouveaux (Eustis de Telefon Tel-Aviv et Puscifer, Avery de Jane's Addiction qui mettra les voiles rapidement...) pour produire une suite à Slip, dernier enregistrement jusque là.
Même si Reznor me fait rire en tant que musicien de rock (ses lives, "Slip", justement, ou "With Teeth") j'admire toujours autant l'homme de studio. Ses deux scores et How To Destroy Angels semblent avoir été des moyens de continuer les explorations électroniques qui sous-tendaient Downward Spiral et Fragile et qui menaient Year Zero et Ghost. Hesitation Marks est quelque part par là : à la croisée de ses productions les plus intéressantes. L'héritage d'une quête de sons électroniques, de sculptures sonores issus de longues sessions où les rares guitares se cherchent une place au milieu des cables de synthés modulaires et des potards de bécanes analogiques est au coeur de l'album. Si chronologiquement cet enregistrement se situe à la suite d'un album rock, il est stylistiquement la suite de Year Zero ou même de Downward Spirale, le glorieux chef d'oeuvre - l'univers graphique en est d'ailleurs très proche, puisque résultant du travail de Russell Mills dans les deux cas, et qui m'évoque les oeuvres de Dave McKean. Il reprend du dernier une concision et une efficacité alors qu'il reprend la méthodologie du premier. Le tout en définitivement plus pop, gentil. Hormis le morceau niais jusque dans ses accords de guitare que forme "everything" cette accessibilité n'est pourtant jamais repoussante. Entre ses nombreuses couches de sons s'empilant les unes sur les autres pour créer des murs digitaux redoutables, ses rythmiques concassées se faisant comme des réponses au rythmes globalement plus dansant (find my way), NIN revient avec un album d'artisans soigneux. Avec son casting impeccable Hesitation Marks est un album solide et auquel on s'attache sans difficulté : le travail de Reznor et de sa bande est minutieux, foisonnant, passionnant. Et si on ejecte bel et bien un morceau, la seule ombre au tableau est peut-être le manque d'innovation sur les voix. A avoir trop délégué cette tâche, on pourrait penser que Trent a copié/collé ses lignes de chant d'un morceau à l'autre par manque de moivation. L'impression de l'entendre geindre de la même façon devenant alors usant au fur et à mesure que le disque avance.

mercredi 16 octobre 2013

TRICKY - Valentine (Andy Stott Remix) EP

Quand j'ai découvert Andy Stott il ya quelques années via l'excellent Passed Me By, je n'ai pas pu m'empêcher d'y entendre ce que je ne retrouverais plus jamais chez Tricky. Ce même goût pour les structures bancales, pour les beats dérangeants, pour les ambiances brumeuses. J'entendais chez Stott ce que j'entendais sur Pre Millenium, sur Nearly God. Alors l'association des deux noms pour un EP du kid ne m'a pas paru inopportune. Après un album franchement décevant, on imaginait même un disque qui avait de la gueule et qui pourrait nous réconcilier, même le temps d'un seul morceau, avec Tricky qui ne cesse de creuser pour rester pertinent. Un seul titre explosé sur 8 longues minutes et l'opération fait son effet - sur un très beau vinyle sillonné d'un seul côté. Tricky a toujours été fort en EP (Grassroots, et surtout Mission Accomplished, son dernier vrai bon disque de A à Z, en 2000) et Stott lui permet de retrouver le sommet. Sa voix vient parfaitement envahir les climats moites de son collaborateur le temps du remix, même sa compagne s'en sort vocalement magnifiée. Etonnament, c'est du côté du footwork et des sonorités du trap que le remix vient puiser son rythme principal qui jaillit lorsqu'on ne l'attendait plus pour mener le morceau. Alors pendant 8 minutes on adhère à Adrian, sa voix, son monde. Mais c'est bien court. On se repasse ce remix bien plus souvent qu'on ne revient sur False Idols, malheureusement.

mardi 1 octobre 2013

THE BUG - Filthy

Après avoir persévéré le temps de trois 7" un exercice de style réussi (Acid Ragga), Kevin Martin revient au pur son Bug, sans limite ni contrainte. C'est Zeke Clough qui encore une fois s'occupe de signer le visuel du disque et le mélange chaotique de gris, noir et rouge fonctionne parfaitement : l'objet est superbe, bordélique mais plaisant. Le son suit. J'ai l'impression de me répéter tant la trajectoire de The Bug suit celle de King Midas Sound. Après le point de rupture que fut le second enregistrement de Curse OF The Golden Vampire, Martin est reparti sur des projets plus calmes, plus beaux. Progressivement, le son s'est renforcé. 10 ans après le disque le plus teigneux de son oeuvre, voilà que KMART, tout en restant dans les territoires étendus d'un dancehall mutant, ne cesse de dessiner les courbes d'une musique de plus en plus méchante, bruyante. Après l'excellent Aroo de KMS, voilà donc un double 10" particulièrement agressif. The Bug est en configuration connu. Flowdan, le MC belliqueux du crew Roll Deep, fidèle, s'impose sur 2 morceaux. Daddy Freddy, la légende, lui aussi habitué au studio de l'insecte pointe pour une piste qui montre les chicos. Kiki Hitomi, la voix hypnotisante de King Midas Sound vient se poser comme un fantôme sur les échos du premier morceau. Au premier plan, c'est là la plus grosse surprise, Danny Brown, sorte de Ol'Dirty Bastard version 3.0, personnage fascinant les blogs du monde entier déverse son flow hystérique qui semble difficilement en place donne un ton enfumé au disque dès ses premières secondes. Vocalement, le disque est marquant car particulièrement agressif. Des paroles ("kill'em", "louder")  au thématiques, tout empeste la haine. Le son The Bug est d'une brutalité inouïe, et le propos est à la guerre. Les basses de Martin perturbent le climat, les roulements de caisse claire sont soit épileptiques, soit d'imposanst coups résonnant. Pas besoin de guitare pour le dieu Bruit. Toujours dans la logique du maxi reggae, le disque se compose en fait de 2 morceaux déclinés chacun en 2 versions. On adhère facilement à ses 2 déclinaisons, addictives, obnubilantes, et même si de fait, Martin est très prolifique, on attend de pied ferme la suite de London Zoo, qui se dirige désormais lentement vers son sixième printemps.

jeudi 26 septembre 2013

Etrange Festival 2013 - Neuvième journée

Journée de tous les émois ou vendredi ordinaire de festivalier qui commence à avoir sérieusement mal aux jambes à force de rester assis huit ou dix heures par jour ? Le programme s'annonce plutôt pimenté en cette fin de semaine avec de grosses attentes (le dernier Sono Sion et le documentaire de Richard Stanley) et des "habitués" de la 19e édition, avec un nouveau film proposé par Jello Biafra et un Sayadian pour finir la journée. J'attends Arnaud à l'entrée du forum (pas celui du 6e jour, un autre Arnaud). Guillaume passe par là, il a deux heures à perdre avant d'aller voir le Sono Sion avec moi. On revient encore une fois sur Confession of Murder. C'est le running debat de la dizaine. Arnaud n'arrive pas, je lui prends sa place, il m'appelle, il fume son clope. Son élégante et longiligne silhouette se dégage enfin de la place Carrée, un grand sourire aux lèvres, une barbe de deux ou trois jours qui le rend plus avenant que jamais... C'est le genre de garçon qui a les yeux qui pétillent aussi fort que bat votre coeur et qui, en un plissement de fossette, vous transforme en flaque d'eau. Bref, va sérieusement falloir se concentrer sur le film pour ne pas passer la séance à le regarder (si mes articles se transforment un peu trop en journal de Bridget Jones, frappez moi...). 

Salle 500 donc, L'Autre Monde, le nouveau documentaire de Richard Stanley, qu'on avait vu très rapidement l'an dernier dans le film à sketches A Theatre Bizarre (dont il réalisait un segment), a tout pour plaire sur le papier. Il s'agit d'une descente mystique dans les tréfonds du sud de la France, autour des légendes et des histoires médiévales qui font tressaillir les touristes. Le tout sur des images du génial Karim Hussain... Alors qu'il passait des vacances tranquilles avec sa femme, Stanley a vécu une expérience surnaturelle au Chateau de Montsegur, endroit réputé pour les forces magnétiques qui y règneraient. A partir de là, Stanley s'est dit "putain si j'en faisais un film ?". Bah oui, après tout, ce ne serait pas le premier à faire un long métrage à partir d'un film de vacances... Du coup, il embarque femme et amis (Hussain donc, mais aussi le compositeur Simon Boswell) du côté de Rennes-le-Château et d'autres bleds comme ça, pour un road trip ésotérique dans le sud de la France. Autant le dire tout de suite, on se marre beaucoup pendant le film de Stanley, à défaut de croire une seule seconde à ce qu'il nous raconte ou d'entrer dans l'univers surnaturel qu'il essaie de nous décrire. Il faut dire que la construction scénaristique de son documentaire ne tient pas la route. On est plutôt dans une logique de rencontres, de "va comme je te pousse", d'accumulation d'étrangetés qui ne sont jamais vraiment liées les unes aux autres. 

C'est la très grosse faiblesse du documentaire : à force d'avancer sans savoir où il va, sans chercher à décortiquer quoi que ce soit mais en allant d'un récit d'expériences à un autre, Stanley avorte - plus qu'il n'accouche - d'un objet bâtard, dont la bizarrerie tient plus à l'hétérogénéité des sources interrogées (le clodos à cheveux gras qui trace des traits sur des cartes comme ça au pif et qui en déduit des trucs d'une divine évidence... comme ça au pif) qu'à l'hypothétique crédibilité de ce dont il parle. Si son enquête avait été menée avec un tant soit peu de sérieux, on aurait évité les superpositions d'insignes mystiques sur des montagnes inquiétantes et des commentaires hors sujet du maire du village du coin où il s'est passé un truc chelou il y a cinquante ans... A vrai dire, on a de la peine pour Stanley car il donne l'impression de ne pas vouloir comprendre ce qui s'est passé, de ne pas chercher l'origine de ces légendes (le flou artistique magistral sur les Cathares...), mais se contente de retranscrire de manière sensitive ce qu'il a pu ressentir ce fameux soir à Montsegur... Sauf que le dispositif d'interviews qui vont du vague au complètement ubuesque (le mec qui ne veut pas qu'on le film et qui ne dit rien pendant 3 minutes en agitant ses mains...), ne sert absolument pas cette démarche. 

Mes yeux ont eu moins de mal à se perdre dans ceux d'Arnaud que dans ce film dépourvu de structure et de volonté d'éclaircissement. La sortie du film est un déchirement, Arnaud ne me suit pas pour le Sono Sion... Une bise très amicale, un dernier sourire et un "au revoir" qui sonne comme un "à bientôt" (et vu que ça vous passionne, pour l'heure on en est encore au "au revoir"). Guillaume fait déjà la queue pour la salle 500. La séance va être pleine à craquer : le dernier Sono, c'est un événement puisqu'avant nous seuls les privilégiés de Venise et de Toronto ont eu la chance de le voir. 

Et putain de bordel de sa grand-mère punk aveugle... Why Don't You Play In Hell ? est une tuerie, dans tous les sens du terme. Un yakuza veut tourner un film avec sa fille (actrice de publicité pour les brosses à dents) afin de remercier sa femme pour les années de prison qu'elle s'est sacrifiée à faire pour lui. Il va engager une bande de gamins fan de cinéma qui n'attendent qu'une chose, qu'on leur propose de faire le film qui changera leur vie. Ces petits cinglés amoureux du 35mm vont filmer l'affrontement entre deux clans de yakuza, et ça va saigner. 

J'ai bien fait d'aller voir Bad Film quelques jours avant. WDYPIH s'inscrit directement dans la lignée de ce film bordélique et punk, centré sur de violents affrontements claniques. On retrouve cette passion viscérale de Sono Sion pour les chefs charismatiques à la tendresse drôle, pour les gunfights et pour l'humour décalé. Son dernier film est un magistral hurlement d'amour au cinéma doublé d'un bras d'honneur cinglant et trash à l'industrie du cinéma japonaise. En mettant en abîme sa propre volonté de faire des films (le gamin malade de ciné qui veut devenir réalisateur, c'est lui), il adresse un message de liberté bouillonnant à tous ceux qui désireraient brider ses véhémentes hystéries filmiques : messieurs, Sono Sion ne cessera jamais de faire ce qu'il veut, et d'ailleurs, il fait un film pour vous dire qu'il vous emmerde. 

Why Don't You Play In Hell ? est un cri furieux et bandant, qui déchire les limites de la violence esthétique sans pour autant la rendre ni ringarde, ni superflu, ni malsaine. La force de Sono Sion c'est d'arriver à délivrer des poèmes punks ultra libérés et ultra jubilatoires sans jamais verser dans le nihilisme ou le cynisme. S'il invective les tenanciers de moral, s'il fait un bras d'honneur aux producteurs, s'il évoque à demi mot la censure (à travers la police qui débarque à la fin du film pour réprimer la tuerie... ne faisant au passage que rajouter de la boucherie sur la boucherie), s'il emmerde Kitano le has been et Miike le plus grand chose, Sono Sion livre surtout ici tout son amour du cinéma, quelque chose de furieusement enfantin et d'immensément grand. 

La dernière demi-heure du film est un massacre inoubliable, d'une drôlerie fantastique. Niveau rythme, Sono Sion ne se trompe pas. Habitué à fournir des films de deux heures qui se perdent parfois en temps morts (dans Cold Fish par exemple), il remplit avec maestria les 2h10 de film, avec des bastons inclassables, une inventivité de mise en scène ahurissante et une dinguerie qui enchante chaque plan. Furieux. Déjanté. Une explosion tout bonnement magistrale.  

Après deux heures de fight au katana sous acides, la retombée cathartique s'apparente plus à une descente d'organes qu'à une descente de lit... Je croise Jérémy dans la queue de la salle 100, il me présente Thomas, qui vient tout juste de rejoindre l'équipe de Panic Cinéma. On va voir un vieux film allemand de 1981, une bizarrerie de l'artiste Ulrike Ottinger. Je fais remarquer à Thomas qu'avec la présentation de Jello Biafra, il va devoir choisir entre la fin du film et le début de The Rambler... Ce qui est très dommage. 

Jello Biafra a vu Freak Orlando à sa sortie dans un cinéma allemand tout pourri, sans aucun sous-titres. Bien évidemment, lui le californien, n'a rien compris. L'Etrange Festival ayant retrouvé une version sous-titrée en anglais, c'est l'occasion pour Jello d'y comprendre quelque chose... Ou pas. S'il fallait un film "What The Fuck" dans cette édition, ce serait bien celui là. Ottinger livre une sorte de long voyage aux sens métaphoriques parfois impénétrables, dans lequel des personnages circulent de sketches en sketches, dans la drôlerie ou dans la gêne la plus totale. On n'arrive jamais à comprendre tout ce que l'artiste allemande veut dire, ni même si elle veut dire quelque chose, certaines séquences s'inscrivant dans un onirisme si puissant qu'il serait vain de vouloir y déceler quoi que ce soit. N'empêche, il y a quelques symboles phalliques qui reviennent de temps en temps. Et puis il y a cette princesse barbue, crucifiée en plein centre commercial qui hurle un opéra à mourir de rire. Et cette évocation glaçante d'étrangeté des déportations et du nazisme, à base de nains que l'on met dans des cadis accrochés en wagon... 

C'est déstabilisant. La poésie d'Ottinger est tantôt cruelle, tantôt surréaliste. Elle tangue d'un monde à l'autre, toujours avec une idée de poursuite, de voyage infernal dans un monde où l'absurde a envahi des territoires curieusement très habituels (le centre commercial donc). Freak Orlando s'inscrit véritablement dans la veine des plus étranges Jodorowsky (même si à l'époque il n'a pas encore réalisé Santa Sangre, on y pense beaucoup). Comme on pense évidemment à Todd Browning, le titre du film y faisant allusion, mais aussi à Arrabal, à Kenneth Anger ou encore, à Schlingensief (plus tardif lui par contre). Un long poème très inégal qui réussi parfois à être envoutant. 

On finit la journée au café... Ou plutôt avec Cafe Flesh (humour...) du désormais bien connu Stephen Sayadian. Je retrouve Lionel en salle 300. Il retourne le lendemain à Marseille, il faudra que je l'emmène à gare de Lyon. Ca veut dire un réveil à 7h... Ca va être une très très longue journée samedi. Revenons en à Cafe Flesh, film porno d'anticipation de 1982. Dans un café lugubre de l'après catastrophe nucléaire, les négatifs, ceux qui ne peuvent plus avoir de rapports sexuels, viennent jouer aux voyeurs et mater les positifs qui sont obligés de se donner en spectacle dans des jeux sexuels chorégraphiés. Attardons nous un petit peu là dessus : des négatifs, des positifs, des gens qui ne peuvent plus baiser sous couvert de se tuer... Alors qu'on est au début des années SIDA, le film de Sayadian fait froid dans le dos et son ambiance sombre laisse présager un certain pessimisme. 

Cafe Flesh surprend par le peu d'intérêt qu'il porte aux scènes de sexe. Il doit y avoir trois séquences pornographiques dans le film, toutes trois filmées selon un protocole extrêmement similaire, en trois temps s'il vous plait : fellation, pénétration vaginale, cumshot sur la chatte touffue de madame. Ce qui est inventif, c'est l'emballage, la mise en scène, tout ce qui entoure ces scènes porno. Pas aussi brillant que son Dr Caligari, ce premier film (chronologiquement) a le don de créer une ambiance, de rendre ses personnages crédibles, humains, d'insuffler une complexité peu habituelle dans ce genre de production dont le premier rôle est de faire jouir, et vite. On comprend très bien que le film ait été hué lors de sa sortie dans les salles porno : les séquences crues sont chiches, l'ambiance est pesante, intelligente et parfois grotesque, la réflexion de mise. Rien de bien bandant avant 15 à 20 minutes de film ! Mais un peu de culot dès les premières minutes... 

Demain samedi fou. Je dois choper Lionel pour l'emmener à la gare. L'après-midi cinéma est surchargée avec cinq films au programme. Et il y aura la nuit Divine... Je vais repartir pour dix-sept heures de film... Allez, du courage, c'est bientôt fini. Je cours au RER, mon lit est encore loin. Trop loin. 

samedi 21 septembre 2013

Etrange Festival 2013 - Huitième journée

Guillaume n'a pas arrêté de m'en parler, chaque jour qui passait, me disant que c'était l'un des meilleurs films qu'il avait vu cette année à l’Étrange  C'est donc avec les meilleurs échos que je me suis rendu à la séance de 14h30 de Confession of Murder du coréen Byeong-gil Jeong, un thriller très nerveux qui joue sur le mélange des genres. Un flic course un tueur en série qui lui échappe et lui promet un grand destin. Quinze ans plus tard, alors que le délais de prescription est tombé, un homme revendique tous les meurtres dans une autobiographie, mettant en émoi la police et les familles des victimes et créant autour de lui un énorme engouement de fans hystériques. Seulement, le doute s'installe : s'agit-il du véritable assassin ? Pourquoi revendique-t-il maintenant ces crimes, au risque de lever contre lui une véritable vendetta ? 

Dans une grande tradition asiatique, les genres comiques, dramatiques voire mélodramatiques sont imbriqués et offrent des séquences déroutantes où l'humour succède sans laisser de temps mort, à des scènes d'une gravité profonde. Confession of Murder offre une habile réflexion sur le rôle des médias et sur leur utilisation publicitaire, mettant clairement en lumière leur statut de promoteur d'informations erronées et non de pourfendeur de vérité. Byeong-gil Jeong offre de longues séquences de plateau, démontant les logiques spectaculaires de l'univers télévisuel. Le tout est entouré de très nombreuses scènes d'action dont des courses poursuites ultra-spectaculaires mais d'une improbabilité royale, qui pousse souvent au grotesque, non sans un certain plaisir coupable. Beaucoup moins noir que son confrère The Chaser, la fluidité et la maestria de certaines séquences de poursuites n'ont strictement rien à lui envier. 

Toutefois Confession of Murder pâtit d'un scénario qui passe par tous les excès et joue toujours avec les frontières du ridicule. Une jeune femme vengeresse avec une arbalète, un serial killer présumé qui semble avec 19 ans, un flic qui vit chez maman, des serpents dans la piscine, des groupies en mini-jupe qui adulent leur beau tueur en série et bien évidemment, ces putains de scènes de poursuite qui ont la maîtrise technique d'Hollywood (et peut-être même bien mieux), mais qui sont aussi réalistes et crédibles que celles réalisées à Bollywood dans les années 90... Bref, ce nouveau thriller coréen, efficace à souhait, n'offre résolument pas grand chose de neuf, si ce n'est un ton plus léger qu'à l'accoutumée. 

On file en salle 300 pour l'un des événements de la dizaine : la présence de Stephen Sayadian, réalisateur de films pornographiques qui a beaucoup oeuvré dans les années 80 en développant des films concepts. On peut, de prime abord, s'interroger sur la présence d'un réalisateur de films pornos dans un festival de films "étrange". Mais les réalisations de Sayadian ne sont vraiment pas comme les autres. Et son goût pour le raffinement, pour la sublimation de l'érotisme et pour la rencontre avec d'autres genres parlent pour lui. Le film présenté ce jeudi est un "remake" du Dr Caligari. Oui, le manifeste du cinéma expressionniste allemand, réalisé en 1920 par Robert Wiene. Lorsque son producteur lui propose de réadapter cette oeuvre, en 1989, le film vient de tomber dans le domaine public américain. Sayadian est donc libre d'en faire ce qu'il veut et va, avec une imagination débordante mais aussi une rigueur esthétique incroyable, développer et étirer les formes et les concepts de l'expressionnisme en le faisant rencontrer la SF des années 50, le théâtre underground des années 70 et le goût du kitch des 80's. 

Dr Caligari est une véritable surprise visuelle qui garde certaines caractéristiques des années 20, notamment la reconstitution des extérieurs en studio ou encore la déformation des décors (notamment des portes, ici symbole de pénétration dans un univers sexuel très perturbé). Les décors sont d'une grande abstraction et le noir domine très largement, électrisé par quelques flashs colorés et par des costumes grisants. Sayadian reprend également les thématiques de la manipulation et de la folie : ici une psychiatre un peu autoritaire dirige un asile et fait des expériences sur la libido de ses patients, allant jusqu'à les faire changer de sexe ! Tout est chorégraphié, tant dans les dialogues que dans les mouvements des acteurs, insufflant un rythme brisé, tantôt frénétique, tantôt lancinant, proche de l'hallucination. L'onirisme crépusculaire est permanent, la folie ne cessant jamais de parcourir les personnages.

D'une permanente inventivité, cette version érotique de Caligari a une particularité notable : il n'y a pas une seule scène de sexe. Tout y est suggéré, par des poses lascives, par des sous-entendus érotiques, par des symboles phalliques ou vaginaux dans l'image, par l'humour omniprésent et par la thématique de l'hystérie féminine. C'est à la fois un bonheur et une frustration... Parce qu'on aurait bien aimé voir quelques nichons et quelques bites trainer ici où là.

Je retrouve Stéphane et Lionel au 7e bar. On fait le point sur la séance d'hier. Lionel a acheté une place pour Belenggu et je ne peux m'empêcher de le dissuader d'y aller. Je lui conseille plutôt de venir voir The Widower avec moi, film qui apparait dans la carte blanche du bouillant (et très bavard) Jello Biafra. Finalement Lionel essaie de refourguer sa place à quelqu'un sans succès. Le bouche à oreille sur Belenggu n'a franchement pas été bon et ça s'en ressent. On file en salle 300 et on accueille un petit nouveau, Benjamin, dont c'est la première à l'Etrange (j'en aurais dépucelé un paquet cette année...). 

Pour ouvrir sa carte blanche, Biafra propose deux films dans lesquels il joue. Des films très rares, mais d'une qualité moindre. Le premier est un court métrage tout à fait oubliable, réalisé par son amie Ani Kyd, qu'il produit sous son label Alternative Tentacles. Les 15 minutes de I Love You... I'm The Porn Queen semblent durer une éternité et l'absence de sous-titrage (même juste en anglais hein, on n'est pas difficile et on a l'habitude...) n'encourage pas à l'attention. Vient The Widower, une étrange comédie horrifique datant de 1999 et réalisée par Marcus Rogers, mais qui ressemble plus à une version 80's d'un film d'Ed Wood. En couleur... 

The Widower raconte l'histoire d'un pauvre type qui vient de perdre sa femme mais qui continue de vivre chez lui avec son cadavre, comme si elle était encore vivante. Il lui fait à manger, il lui parle, il la lave. Et puis il en a marre, dans un élan de romantisme presque touchant, il la sort pour danser, boire un verre et aller à la plage. Autant dire que ça attire pas mal le voisinage, notamment la vieille commère d'en face qui ne peut pas s'empêcher d'appeler les flics. Des flics d'une rare fainéantise, qui rechignent à chaque instant à faire leur boulot, et se complaisent dans l'incompétence la plus revendiquée qu'il soit ! 

Ce qui est désarmant ici, c'est l'absence de rythme et l'image surannée du film. Certes, voilà un hommage tout à fait crédible aux films de série B des années 80, mais tout de même... Un peu de punch et de folie n'auraient pas été de trop pour que l'on apprécie vraiment la dimension punk du film. Trop doux, The Widower semble avoir passé plusieurs décennies dans le formol, empêtré dans un immobilisme qui le rend, tout de suite, beaucoup plus vieux que ce qu'il n'est. La dimension comique du film, seule direction possible à vrai dire (même si le film de Rogers n'est pas dénué d'un certain romantisme nécrophile), ne tient qu'au travers du duo policier, sorte de pendant imbécile, incapable, ringard et pas cool de Starsky et Hutch... Accompagnée d'une vieille mégère qui fait penser à la mère de Stallone dans Arrête ou ma mère va tirer !, le trio fonctionne bien et offre quelques bonnes répliques. 

On a envie de prendre un verre. On sort fumer, prendre l'air, avant d'enchaîner avec Nightdreams de Sayadian, encore lui. Mais on ne le verra jamais. Benjamin doit rejoindre Emil dans le Marais et on décide de l'accompagner. Une petite baisse de régime, normale aux vues de tout ce que j'ai ingurgité de films jusqu'à maintenant. Voir le ciel, même de nuit, c'est un petit miracle, un moment agréable. On se pose sur un banc. De la musique, des pétards, de la bière. Vient minuit, l'heure du RER. L'heure de rentrer dans le 7-7. Demain on verra le documentaire de Richard Stanley l'Autre Monde, le dernier Sono Sion Why Don't You Play In Hell ?, l'étrange Freak Orlando et encore un Sayadian, Café Flesh

lundi 16 septembre 2013

Etrange Festival 2013 - Septième journée

Ce mercredi est une journée spéciale pour moi. Pour la première fois, je ne vais pas être que spectateur de l'Etrange Festival, mais un petit peu acteur. En effet, l'Université de Saint-Denis organise, avec la BNF, un colloque sur le cinéaste Lionel Soukaz en décembre prochain. Il se trouve que je fais ma thèse sur ce monsieur... Il se trouve aussi qu'on a contacté l'Etrange Festival et obtenu une séance spéciale pour lui, lors de laquelle il a pu programmer quelques films de lui mais surtout d'autres réalisateurs et réalisatrices. Bref, la journée est partagée entre le stress de l'organisation de la séance (dont mon comparse, Stéphane, a eu la plus grosse charge) et l'Etrange Festival. Réunion de travail le matin avec Stéphane. Je récupère des tracts à distribuer lors de la séance. Je retrouve Lionel le midi à Arts et Métiers pour déjeuner un chinois affreux. On descend au Forum à pied, il a besoin de prendre l'air. L'approche de la séance l'angoisse, il lui faut de l'oxygène ! On parle de cul tout le trajet, comme d'habitude. 

Arrivé au Forum, direction la salle 30, la plus petite, la plus intimiste des salles de l'endroit. Pour tout dire, elle est plus petite que le salon de mes parents et à peine plus grande que ma chambre (et vu que vous êtes tous déjà venus chez moi, ce sont des échelles de valeur qui vous parlent bien évidemment). Lionel n'était emballé par rien, j'espère que l'après-midi ciné va le détendre un peu... Pour commencer, quoi de mieux qu'un bon nanar 80's en VF ? La victime du jour s'appelle Blood Diner de la fameuse Jackie Kong (ouais, ouais...). Blood Diner est son troisième et avant dernier film, réalisé en 1987 (il a mon âge, snif). Avant cela, elle avait déjà commis The Being en 1983, un film de monstre avec Martin Landau et Night Patrol en 1984, un film de flic looser avec la formidable Linda Blair (la gamine de l'Exorciste de Friedkin, c'est elle ! Et son rôle dans Night Patrol lui a valu un des quatre Razzy Awards qu'elle a glanés entre 1982 et 1986... Autant dire une pointure du nanar comme on les aime !). 

Autant dire que Blood Diner est un monument de mauvais goût cinématographique comme seules les années 80 pouvaient en offrir. Deux gamins voient leur oncle, un serial killer fanatique, se faire tuer par les flics. Il leur fait promettre juste avant de crever de tout mettre en oeuvre pour vénérer la déesse Shiraa, une obscure divinité sumérienne, et pour la faire revenir à la vie afin que son règne s'accomplisse. Vingt ans plus tard, les deux gamins tarés déterre le cerveau de leur oncle (si, si, toujours bien frais) et mettent en oeuvre son plan diabolique : il va falloir tuer de la vierge effarouchée et de la salope afin de récupérer des entrailles et nourrir la déesse ! A partir de là, tout est possible. Basé sur ce plot improbable, le film ne tarde pas à se barrer en couille. 

Dès la séquence d'introduction en fait, avec l'oncle psychotique. Puis les séquences s'enchaînent sans temps mort et avec la verve la plus frapadingue. On est presque au bord de l'overdose de second degré tant c'est fou : plus machiste, plus homophobe, plus raciste, plus débile, y a presque pas. Mais tout ça pour le bonheur des oreilles et des yeux bien sûr, et sans jamais se prendre au sérieux. Le film de Jackie Kong est un de ces plaisirs coupables dont on raffole tous, cette merveille fauchée qui, plutôt que d'enfoncer les portes ouvertes, s'abandonne dans les bras d'un surréalisme pop, graveleux, potache, fun, érotisant et singulièrement baroque. Un bordel sans nom ou mysticisme et fanatisme riment avec végétarien... Si, si ! 

Changement de salle et de registre. Après l'étincelle drolatique, voilà un film bien plus sérieux, signé par Jeremy Saulnier. Saulnier c'est l'auteur du médiocre Murder Party, dont je vous avais déjà parlé en introduction de festival. Disons que lui aussi change radicalement de registre en s'attaquant à un drame sur fond de vengeance. Blue Ruin est un film âpre et tendu qui offre de fulgurants spasmes de violence et une réflexion approfondie sur l'autodéfense, la loi du Talion et le port d'arme. A vrai dire, c'est le film à conseiller à tous ceux qui sont en train de soutenir le bijoutier de Nice... Un clochard est averti que l'homme qui a tué ses parents vingt-ans plus tôt va sortir de prison. Ni une, ni deux, il se met en chasse pour le tuer. Une fois son acte de vengeance accompli, une implacable logique destructrice s'enclenche. Et le vengeur devient alors la proie de ceux dont il s'est vengé. 

On est bien loin de l'esprit comique de Murder Party. Ici, le ton est lourd, même si quelques salves d'humour viennent parfois transpercer un ciel bien sombre et une violence sèche. Le ton moralisateur du film, notamment sur sa fin, pourra certainement en écorché plus d'un. Il n'empêche que Blue Ruin dégage quelque chose de puissant, de viscéral et de profondément touchant. En témoigne ces quinze premières minutes où le personnage principal, campé par le très bon Macon Blair, ne décoche pas un mot. Une poésie de l'abandon, de l'attente se dégage dans les yeux et dans la barbe hirsute de ce personnage reclus dans sa colère triste. Il n'y a même pas de haine en lui, mais une peur terrible, une lâcheté pathétique, une gentillesse profonde, une tristesse communicative. Blue Ruin marque les esprits, par la sobriété de sa mise en scène et l'humanité de sa réflexion. 

Rapide break. Stéphane nous a rejoint au Forum, il reste sur place pour commencer à accueillir les invités de Lionel Soukaz et pour voir Alain Burosse, notre contact à l'Etrange. Avec Lionel on va prendre un verre, histoire de voir la lumière du jour une dernière fois. En redescendant, on croise René Scherer, éminent philosophe et ami de Lionel depuis 40 ans. Les amis sont là, les invités aussi. La salle 100 va être comble. Pire, une demi heure avant l'ouverture de la salle, la séance est déjà complète. Caroline, une amie, a fait le déplacement pour rien. Dix minutes avant le début de la séance, je monte faire la poule à l'entrée de la salle avec mes tracts que je distribue avec un grand sourire. J'ai jamais été une aussi belle potiche mais, quand j'y pense, j'aurais pu pécho une bonne douzaine de fois en à peine trois minutes... 

La présentation commence avec du retard. Je suis derrière la caméra pour filmer les quelques mots de Lionel Soukaz (qui présente Guy & Co, documentaire et surtout hommage à Guy Hocquenghem), d'Alain Burosse (Poubell's Girls) et de Franssou Prenant (Paradis Perdu). Stéphane présente le colloque, il passe mieux que moi à l'image (il joue dans Guy & Co d'ailleurs...). Ca discute, ça déconne. On parle du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), des belles années de l'après 68, de liberté, de cinéma. Tout cela est teinté d'une douce nostalgie. La présentation s'arrête, je fais un panoramique sur la salle pleine qui applaudie. Les lumières s'éteignent, les murmures se dissipent. Je m'assoie dans les marches, à côté d'Alain et de Lionel. Il n'y a plus de place. On s'en fout. On est bien aussi, par terre, contre un mur. Tant que l'écran nous parle...

Etrange Festival 2013 - Sixième journée

Journée un peu pourrie, et pour plusieurs raisons. Déjà, pour des raisons personnelles et familiales (vous en saurez plus en lisant mes mémoires...), j'ai dû renoncer à la première séance de la journée, le film espagnol Ghost Graduation (que je n'avais pas spécialement envie de voir de toute façon). Ensuite... parce que tous les films de la journée sont des films... que je n'avais pas spécialement envie de voir de toute façon ! 

Arrivé au Forum, personne ne me parle de Ghost Graduation. Personne n'est allé le voir visiblement... J'entame la journée avec The Resurection of a Bastard, film en compétition du réalisateur et dessinateur hollandais Guidio Van Driel. Premier film qui s'inscrit, selon Frédéric Temps, le patron du Festival, dans la veine du très bon Bullhead, vainqueur ici deux ans plus tôt. D'accord, les deux films ont le même monteur... Mais ça s'arrête là. TRoaB (c'est plus court) raconte l'histoire d'une espèce de parrain de la drogue, un gros connard de première dont le sadisme n'a d'égal que sa violence mais qui, après s'être fait attaquer dans une boite de nuit, va entrer en rédemption et faire preuve de compassion à l'égard des gens qui l'entourent et de ceux à qui il a brisé la vie. En parallèle Van Driel développe l'histoire d'un jeune travailleur africain qui fait des rêves louches où une main lui sort de la bouche. Mais ça, on ne sait pas trop pourquoi. Enfin, si un peu, les destins des deux hommes sont liés. Enfin liés... A la toute fin du film, ils se croisent au pied d'un arbre... Enfin au pied... Y en a un qui tombe quoi... 

Vous comprendrez que je n'ai pas bien saisi l'intérêt du film, notamment ces histoires croisées qui n'ont quasiment aucun impact l'une sur l'autre. Le film, s'il aborde le racisme, ne donne aucune ampleur à l'histoire du travailleur africain, la confinant au statut d'artifice scénaristique. Quant à cette histoire de rédemption, elle est d'un ennui mortel. Rarement un personnage ne m'aura semblé aussi insipide. Jamais attachant, jamais percutant, le film est d'une telle distanciation qu'on prend le large rapidement, sans pouvoir revenir dans son univers fermé, microscopique, certainement sincère, mais dénué d'intérêt. 

Guillaume a aimé le film, je ne sais pas pourquoi. Tous ses arguments me passent au travers. Jérémy, de GentleGeek est plus mitigé. J'enchaîne avec The Major, film russe de Yury Bykov. Pour son premier film, Bykov n'a pas choisi la facilité en livrant un polar noir et violent au sein de la police russe. Dans un climat international tendu comme un slip, le choix de The Major pour la compétition passerait presque pour un choix politique. Remis dans son contexte russe, The Major est un film indépendant, conçu sans financement des institutions nationales de la cinématographie. Et au regard du film, on ne s'étonne pas que le gouvernement Poutine n'ai pas filé un rond à un petit brulot qui s'attaque aux vices du système et à la corruption dans la police. Au milieu de la toundra, un flic pressé de se rendre au chevet de sa femme qui accouche, renverse un gosse. Il cherche tout d'abord à éviter que l'affaire ne monte en mayonnaise mais ses collègues chargent la mère du gamin et renvoient la faute sur elle. Rongé par la culpabilité, le flic va alors tenter de renverser l'implacable mécanique. 

The Major, est d'une belle facture et l'on doit souligner le courage de ceux qui ont monté le projet. Derrière ses images prenantes, on capte une véritable révolte face au fonctionnement de l'Etat, face aux indicibles abus de pouvoir que subit la population, notamment les plus précaires. Bykov s'élève contre les brimades et humiliations quotidiennes, contre la collusion des pouvoirs sans verser dans le sentimentalisme. Son film est d'un pessimisme rare, qui jette un froid sibérien (si je puis dire) sur l'idée de reprise en main d'une société, malade d'avoir délaissé le pouvoir entre des mains qui s'enrichissent et tuent à ses dépends. Un acharnement terrible mais un film qui ne restera pas dans les mémoires, notamment parce qu'on a toujours un peu de mal à comprendre ce que ce genre de film fait à l'Etrange Festival... 

C'est l'heure du break. Une petite collation et puis on débat avec Jérémy et Arnaud de ce qu'on vient de voir. Jérémy va voir Death Metal Angola, un documentaire sur l'organisation du premier festival de métal monté dans cette ancienne colonie portugaise. J'attends mon cheum avec qui on doit aller voir Omnivores, film espagnol d'Oscar Rojo. Séance de 22h, salle à moitié pleine. L'horaire n'aide pas. Le film non plus à vrai dire. Omnivores se veut une lente descente aux enfers, basée sur une légende urbaine : celle de dîners privés où l'on servirait des plats à base de viande humaine. Un critique gastronomique mène l'enquête et tombe dans le plat... Manger de la chaire humaine, c'est trop cool ! 

La question qui me taraude est celle-ci : qu'est-ce que Omnivores peut bien foutre là ? Qu'il soit à l'Etrange, c'est un mystère, mais en plus en compétition... C'est un peu comme si le téléfilm érotique de M6 (pour ceux qui ont connu cette époque pas si lointaine où la 6 passait des films érotiques... Je suis con de penser qu'il y a des gamins de 10 ans qui nous lisent ou bien ?) concourait pour les Césars et rencontrait, par mégarde, le cinéma d'épouvante/horreur/trash de Jesus Franco. Vous me direz, il y a une certaine tradition espagnole là-dessous. Oui mais bon, Jesus Franco avait de l'imagination et une incroyable capacité à pouvoir jouer, non pas des peurs, mais surtout des fantasmes et à rendre le malsain très cinématographique.

Et puis, on ne peut pas dire que le cinéma espagnol nous ait habitué à pareille déconvenue ces dernières années. Les Balaguero, Amenabar ou autre Cerda avaient mis la barre assez haute, faisant preuve d'une grande inventivité dans le renouvellement de l'horreur et de l'épouvante tout au long des années 2000. En voyant Omnivores, on en vient à regretter la sélection espagnole de l'an dernier : le plutôt drôle Game of Werewolves et même, Insensibles, étaient bien plus appréciables... Rojo, lui, n'a pas d'ambition érotique, sinon il aurait fait du porno, et ses ambitions horrifiques se bornent à singer Balaguero tout en s'imaginant être Clive Barker. Son film est dénué de magie, de tension, d'effroi, d'imagination et de bons acteurs... Autant dire qu'il ne lui manque pas grand chose pour ne pas être un film. Vivement mercredi.