jeudi 27 décembre 2012

Theo Angelopoulos et Koji Wakamatsu

L'année 2012 a perdu deux des plus grands cinéastes de notre époque, à savoir le grec Théo Angelopoulos et le japonais Koji Wakamatsu. Grandes figures du cinéma politique, malaimés dans leur pays respectifs, ils ont, à travers des parcours totalement différents, interrogé l'histoire de leur pays, les meurtrissures des guerres et des massacres, des collaborations et des mythes déchus. Tout deux ont disparu de façon similaire, dans un accident de la route. Les conditions de la mort d'Angelopoulos, grand humaniste s'il en est, n'ont fait que mettre en exergue la débandade d'un Etat en souffrance, au bord du gouffre, les affres de la fragmentation de services publics déjà exsangues. 


Angelopoulos est un magicien, dont les plans séquences restent magistralement ancrés, et pour longtemps, dans les mémoires. Que l'on pense au Voyage des Comédiens ou bien encore à L'Eternité et un jour pour lequel il reçu la Palme d'Or en 1998, des images plus puissantes les unes que les autres, habitées d'une douce poésie tantôt philosophique (poésie de la frontière dans Le pas suspendu de la cigogne), tantôt absurde et universaliste (dans L'Eternité et un jour), se bousculent et remettent en question l'image et le temps, l'espace et le silence. Le cinéma d'Angelopoulos est exigeant, mélancolique et pourtant toujours teinté d'une forte espérance en la capacité de l'homme à intervenir dans l'Histoire et à changer le chemin de sa vie. 

A l'occasion des fêtes, et parce qu'on a toujours un cadeau à offrir après Noël à quelqu'un qu'on aurait oublié, par exemple, la bonne idée pour se souvenir ou pour découvrir le cinéma d'un auteur majeur du vingtième siècle, c'est le coffret édité chez Potemkine et qui regroupe sept films du réalisateur grec, de son premier long métrage, La Reconstitution en 1970 au Voyage à Cithère en 1984, couvrant ainsi toute la période politique d'Angelopoulos et sa fameuse trilogie critique sur l'histoire contemporaine de la Grèce, sous la dictature des Colonels. L'occasion ainsi de suivre l'évolution d'un cinéaste dans ses premières années et sa lente ouverture sur l'enfance. 

Koji Wakamatsu n'a pas la même sensibilité que son homologue grec et sa mort, si elle a suscité moins de polémique, a tout de même de quoi alimenter les conspirationnistes (renversé par un taxi, alors qu'il sortait d'une réunion sur le financement de son prochain film traitant du lobby nucléaire japonais...). Yakuza très jeune, il découvre le cinéma en surveillant les plateaux de tournage. Il devient réalisateur en tournant des pinku eiga qui interrogent toujours les rapports homme/femme, les rapports de classe, l'impotence de l'Etat et son rôle policier. Il se tourne très vite vers les milieux d'extrème gauche et réalisera un film fleuve de plus de trois heures sur l'organisation Rengo Sekigun, United Red Army (2007). 

La virulence choc de son cinéma en a fait une terreur politique. L'un de ses derniers films, Le Soldat dieu était une charge sans concession contre le machisme, le sexisme et l'héroïsme guerrier. Un héros de guerre revenait complètement mutilé du front, sans que personne au village ne sache qu'il y avait violé et tué femmes et enfants. L'homme tronc, privé de tous ses sens, en est réduit à sa pulsion sexuelle bestiale et abjecte, forçant sa femme à copuler sans cesse. Le film est si violent qu'il en devient poétique. La ressortie récente du magnifique Piscine sans eau (1982) permet de découvrir une autre facette du cinéma de Wakamatsu, toujours tournée vers la rébellion et la sexualité, mais plus mesurée et suave. Un homme effacé se transforme en violeur, mais un violeur d'un genre nouveau : il s'introduit chez de jeunes femmes avec du chloroforme, leur fait l'amour, et leur prépare un petit déjeuner puis s'en va avant qu'elles ne se réveillent, troublant la frontière entre le monstre que tout le monde aimerait voir et le prince charmant que toutes se figurent. 

Quoi de mieux là encore, que de jolis coffrets cadeaux pour faire découvrir Wakamatsu à quelqu'un qui en ignorerait tout ? Blaq Out a sorti depuis 2010 une série de coffrets (3 pour être précis), reprenant depuis ses débuts la filmographie du réalisateur nippon. L'idéal pour retracer une oeuvre richissime, du pinku aux films enragés, du film à scandal Les secrets derrière le mur (1965) à Shinjuku Mad (1970). 

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