mercredi 31 octobre 2012

JJ DOOM - Key to the kuffs

Entre ses coups fumeux et ses coups de génie, ses albums de patron et ses méthodes de voyous, on aurait presque oublié que MF, The Super Villain, est encore capable de grandes choses. On se souvient de son live à la Villette, hip hop sans fioriture efficace, redoutable. On se souvient plus difficilement du dernier grand disque de Doom. Certains ont aimé Born Like This, d'autres comptent les années depuis Madvillain (2004). C'est finalement avec Jneiro Jarel que le type ressort de son silence. Jarel est une sorte de néo Kool Keith de l'underground, multipliant les blazes et les projets, beatmaker, rappeur et trompetiste, signant sous son nom, sous l'appelation Dr Who Dat ou au sein de son projet à l'unique album Shape Of Broad Minds. Association logique et de longue date entre deux artisans du hip hop indépendant, capable de déborder sur le mainstream bon enfant (Radiohead, Gorillaz...) sans se mettre à dos l'audience.
Doom a beau rester un escroc de premier ordre- cette année il a encore envoyé un mec faire un dj set à sa place, encaissant le chêque, grassement gonflé visiblement par des exigences hallucinantes-il reste le MC qui fascine et qu'on s'arrache. Sa voix, dézingué au gravillon de weed qui atteignent sa gorge régulièrement continue de hanter les prods sur lesquelles il pose avec son flow cotonneux, ses intonnations qui empestent la fatigue. Sans surprendre, Dumile fait dans la performance honnête, un peu feignasse, un peu sérieuse, et humanise le son Jarel plus qu'il n'incarne l'album. C'est surtout ce dernier qui étonne. Jamais convaincu par ses solos (chiant), j'avais bien croché sur le Shape sans être totalement conquis pour autant. Saturé par la clique Brainfeeder, JJ s'éloigne de ce hip hop brillant et riche enrobé de nappes psychédéliques (demeurant tout de même ici et là, comme sur l'instru venant se placer en fin d'album). Il laisse l'exercice à d'autres, se concentrant sur un beatmaking plus franc dans ses intentions mais tout aussi riche en samples brumeux, en construction de couches sur couches. Jarel brasse ainsi large, en allant aussi bien piocher dans un dirty south spatiale ("Wash your hand") que dans un lovers rock génialement inattendu ("bout the shoes"). Basses poisseuses et beats corsés menent le duo, qui se permet même de faire venir la chouineuse de Portishead pour en faire un fantôme geignard qui ne fatigue pas -exploit. Sans être un album totalement inoubliable (laissons lui le temps), JJ DOOM est une collaboration sincère et efficace, qui tend à prouver que Doom reste d'une certaine pertinence artistique lorsqu'il se décroche de son sampler.

dimanche 28 octobre 2012

God Bless America de Bob Goldthwait

En attendant décembre, mois qui verra sortir Ernest et Célestine, Un jour de chance d'Alex de la Iglesia, le remake de Maniac ou encore le dernier film de Ben Wheatley, tous présentés à l'Etrange Festival, penchons nous sur God Bless America, présenté comme une petite bombe venue secouer la bien puritaine Amérique ! 

Le quatrième film de Bobcat Goldthwait narre la morne existence de Frank qui subit de toute part des vagues de médiocrité de plus en plus insupportables. Ses voisins sont des ploucs sans vergogne qui lui mènent la vie dure, ses collègues ne jurent que par les émissions de téléréalité, sa fille est une petite peste, la télé et la radio semblent se lier contre lui pour l'abrutir avec des émissions débilitantes. Bref, alors qu'il vient de se faire licencier et qu'il apprend qu'il a un cancer, Frank décide de donner un nouveau sens à sa vie : il va faire le ménage dans ce monde de bêtise. Il est rejoint par une jeune lycéenne, Roxy, avec qui il va sillonner les Etats-Unis, un flingue à la main. 

Aux vues des chiffres confidentiels du film sur le territoire américain (moins de 123 000$ de recettes), on pouvait imaginer deux choses : soit que le film était effectivement le brûlot qu'il voudrait être, enragé et borderline, soit qu'il était un four. Sa courte distribution (15 salles au maximum), ne l'a pas aidé à s'extirper d'un marché qui laisse peu de place à la dissidence. Il faut dire aussi que Goldthwait n'est pas vraiment un génie... Il est quand même connu pour avoir foiré une comédie à la con avec Robin Williams (genre et acteur rois aux USA), The World's Greatest Dad, qui aura rapporté moins de 300 000$ en 2009, chose qui n'était pas arrivé à l'acteur depuis un obscur film réalisé par David Duchovny en 2005. Bref, faute d'avoir un réalisateur de talent et bankable encore eut-il fallu aussi que God Bless America soit véritablement dissident... 

La première partie du film fait un tableau au vitriole de l'état de l'Amérique contemporaine. L'exercice se borne très vite à cela, un pastiche cynique et bientôt nihiliste de la téléréalité, de la disparition de l'autorité chère à Arendt, du choc des générations et des couches sociales. Un homme, seul contre la bêtise de tous, l'avidité de chacun. Un homme seul avec ses lambeaux de culture et son refus de la déchéance. Il broie du noir, et nous avec. Goldthwait se fait apôtre décliniste et présente dans un fatras fun, la chute de l'Occident dans toutes ses largesses. Le film est parfois juste, mais tire avec force sur des évidences. Ainsi, au lieu de s'attaquer aux mécanismes de la télévision-spectacle, Goldthwait descend ses conséquences, l'envie d'être vu, l'existence par l'image, la notoriété dépourvue de remarquable. C'est facile, parfois efficace, rarement futé. 

Outre ses facilités, le film pêche dans la théorie même. Car derrière sa bannière sur laquelle serait inscrit "J'en ai ma claque de toute votre merde, rebellons-nous et changeons les choses !" se cache un vulgaire mouchoir couvert de morve. Rien de révolutionnaire ici, sauf d'un point de vu copernicien. Le personnage de Frank, décliniste révolté fonde son insurrection sur des images d’Épinal : il est persuadé que l'Amérique d'autrefois avait des valeurs et que celles-ci se sont perdues en chemin. Pas de remise en cause du système, pas d'envie de changement profond, juste un adipeux sentiment de nostalgie que ne renierait pas Eric Zemmour, celui de l'incompréhensible "c'était mieux avant". Toute cette boucherie donc pour en revenir à un état soit disant préexistant mais en réalité bien imaginaire dans lequel on se dit qu'on vivait mieux, que les gens avaient plus de morale, avaient plus d'esprit, de culture... Fichtre, tous ces clins d'oeil surfaits à Bonnie & Clyde, toute cette vitreuse distanciation avec Juno, toute cette vieille tension pédophile, toutes ces justifications dont le film n'arrive pas à se défaire, pour ça... Et bah... 

jeudi 18 octobre 2012

SPECTRE - The True & Living

On avait cru Wordsound en meilleur santé, après une année 2009 qui semblait remettre le label sur les rails, en proposant plusieurs sorties physiques, et quelques publications digitales. Skiz avait la foi, produisait deux albums (Internal Dynasty puis Death Before Dying), collaborait sur un long avec Sensational, tournait avec son posse (Kouhei, Sensational, Mentol Nomad). Seulement, une fois qu'on recevait ledit album avec Sensational, on comprenait: un quasi CDr et une pochette mal découpée à la main, on était en plein dans la distribution mano a mano - on sait que (ex)Torture sort désormais ces albums dans ce même format, des CDr vendus en concert avec des pochettes photocopiés chez un pote avant de se barrer en tournée. Le label semble être retourné dans son mutisme, et Skiz Fernando (le patron et monsieur Spectre, pour ceux qui suivent pas) trouve visiblement plus d'intérêt dans ses projets culinaires (cf. son site Rice & Curry). 2012 : Wordsound devrait se remettre clairement sur son créneau guerilla de la basse qui était très présent dans les années 90. Fernando semble avoir eu quelques difficultés à rassembler l'oseille nécessaire au pressage de son album puisqu'obligé de passer par kickstarter pour trouver les fonds, et ne le sort qu'à 250 copies, autant dire le genre de truc qui disparait complètement des radars de vente en 17 secondes quand c'est signé Burial ou Melvins. Triste époque. Wordsound est redevenu un label totalement indépendant et marginale, ses sorties sont désormais d'une discrétion médiatique spectaculaire. Si le label a été synonyme de créations, d'originalité avec son mélange de hip hop sombre et de dub venimeux, il est regrettable de voir qu'il ne soulève que peu d'intérêt, alors que de toute évidence, il se trouve au racine de genres populaires aujourd'hui. De la clique Hyperdub à Odd Future, nombreux sont ceux qui aujourd'hui font du Wordsound - probablement sans le savoir.

Skiz Fernando est devenu extrêmement appliqué dans sa méthode et dans sa confection musicale. Il admettait lui-même faire preuve d'un certain amateurisme sur ses premiers albums. Mais depuis Internal Dynasty ses productions sont sérieuses et solides. Mais elles ont aussi perdu un peu de leur audace et les climats sont moins brumeux que jadis. Spectre n'est toujours pas, cependant, un beatmaker de musique festive ou même accessible. Sa guerre audio reste sombre, pesante, malgré la propreté du boulot. L'esprit gothique crade d'origine se caractérise désormais bien plus par l'omniprésence de samples de films, de cordes et de musiques orientales, complètement transformés par des beats lourds. Nous ne sommes ni sur le terrain des syncopes glissantes, mais bien sur le rythme appuyé du hip hop, lourd, martelant, ni sur l'obsession distordu de Muslimgauze. Sur "My Rifle" on retrouve un court instant l'esprit des toutes premières production du Ill Saint, au clavier hésitant et au beat rigide; le morceau n'est pas de ce dernier, mais de son jeune neveu, disparu, à qui l'album est dédié. Skiz convie aussi son pote Bobb sur Triumph, toujours impeccable quand il faut hanté les beats de son compère, mais également Killah Priest, ex jeune espoir du Wu Tang Clan pour offrir quelques voix à sa production. Spectre semble signer ici aussi l'inverse de son précédent album: c'était le cas de Death Before Dying, uniquement chanté sur 2 morceaux par la même artiste, qui se posait comme l'anti Internal Dynasty, riche en collaboration. The True & Living reste cependant dans une logique très similaire à son prédécesseur, à savoir un album court, ramassé, qui ne s'égare pas en longueur. Cela a pu être reproché à Fernando (jusqu'à Psychic War) mais désormais il manie avec aisance les voyages mystiques (cf. le premier Slotek) et une certaine cadence, une dynamique bienvenue.

mardi 9 octobre 2012

Dredd de Pete Travis

Il était plus que temps de revenir sur la dix-huitième édition de l'Etrange Festival qui s'est déroulée au début du mois dernier au Forum des Images à Paris. Une nouvelle fois Frédéric Temps et toute son équipe se sont pliés en quatre pour nous offrir quelques surprises mais surtout un panorama de ce qui se fait à travers le monde en matière de cinéma de genre. Des déceptions bien sûr, j'aurai l'occasion de revenir sur certaines d'entre elles plus tard, des réussites, des "pépites" et des incongruités comme seul l'Etrange est capable de nous en offrir. Pour débuter cette petite rétrospective de ce qu'il y avait à voir (ou pas) cette année, je ne pouvais passer à côté du film de clôture, le peu engageant remake de Judge Dredd, symptomatiquement rebaptisé Dredd et porté par Karl Urban. 

J'ai vu ce remake vierge de toute velléité nostalgique, n'ayant pas vu l'original habité par Stallone et réalisé par Danny Cannon en 1995 et ignorant tout de la bande dessinée. Je n'avais donc pas d'appréhension particulière, si ce n'est celle suscitée par la bande annonce qui mettait en avant les effets de la drogue Slo-Mo avec des ralentis hérités des Wachowski et une image scintillante ultra léchée mais loin d'être sympathique à l'oeil. Que vaut donc ce remake, indépendamment mais aussi en comparaison avec son prédécesseur ? Le film est, à plus d'un titre, assez révélateur de la tournure ultra-réaliste qui s'est opérée dans une partie des blockbusters récents mais aussi d'un manque criant de recul par rapport à l'idéologie exposée dans le papier dont il s'inspire. 

J'ai depuis visionné le premier Judge Dredd. Cet original est étrangement un produit des années 90. On sent pourtant dans son esthétique une très forte influence de ce qui a fait les années 80. Cette omniprésence de jaune dans les paysages rappelle le Dune de Lynch, les armatures des soldats celle du Robocop de Verhoven. Bref, on pourrait citer également Terminator ou Blad Runner, voire Star Wars, notamment pour la séquence d'ouverture où le vaisseau arrive dans la Mégalopole. Judge Dredd convoque cet esprit qui mélange bricolage, imagerie baroque et théâtrale, grandes bâtisses et gros efforts pour transformer les fantasmes futuristes en architecture post-stalinienne. Dredd n'a pas grand chose du film de science fiction tant son esthétique s'inspire du monde contemporain. Images carrées, comme la ville de Mega City One d'ailleurs, imposante forteresse quadrillée et géométrique d'où sortent d'immenses tours d'habitation, des "phalanstères" (dont Wagner et Ezquerra ignoraient visiblement la signification fouriériste...). A part ces détails architecturaux gigantesques, le reste de la ville rappelle toutes les métropoles un peu chaude, humide et en décomposition sociale de notre globe actuel. Dredd, comme son nom l'indique, fait dans le minimalisme. Il ne s'agit pas d'imaginer une cité futuriste détachée du temps et de l'espace, mais bien d'imaginer notre futur dans des conditions extrêmes. En cela, la démarche du film (et je dis bien la démarche seulement) s'approche de celle du District 9 de Neil Blomkamp : là où le sud-africain imagine la réaction ségrégative des êtres humains face à l'arrivée d'une espèce extraterrestre qu'ils ne souhaitent pas intégrer, reproduisant ainsi un nouvel apartheid, le film de Pete Travis imagine notre monde renonçant à exercer la séparation des pouvoirs, empêtré dans des crises sociales sans retour et décidé à se débarrasser des mafias qui ont pullulé sur les cadavres de l'Etat déchu.

Un homme donc, le juge Dredd, incarné par le peu sémillant Karl Urban, dont on ne voit jamais le visage (augmentant l'idée d'une justice sans visage, froide, robotique et respectant ainsi les choix de la BD), répand la loi à grand renfort de turbo-cartouches perforantes et autres inventions militaires désarmantes. A côté de lui, le Judge Stallone passerait presque pour une Bridget Jones pleurnicharde. Dialogues ciselés, automatiques, froids et minimalistes, cette réduction drastique est carrément salvatrice dans un monde où les blockbusters aiment à surcharger leurs héros d'une conscience morale et d'un verbiage navrant. Le Judge Urban est impassible, il parle peu, mais son flow est efficace et va droit au but. C'est appréciable. D'ailleurs, le film est relativement appréciable. L'action est enlevée, quoi que répétitive, mais Pete Travis déploie avec maestria son sens du spectaculaire et sa maîtrise de l'espace. Dredd est à coup sûr un de ces bons films fascistes à qui il est difficile de dire non alors qu'on sait bien qu'ils sont dégoûtants.

La philosophie de Dredd se résume dans la description qu'il fait de la figure des Judge : "They were the police, jury and executioner all in one". Les pouvoirs judiciaires, policiers et exécutifs sont ainsi concentrés en un seul et même être surpuissant, dont le statut le protège d'absolument tout. Il n'existe pas, du moins le film n'en propose pas un qui soit légal, de contre-pouvoir. Exit le tribunal des Judge qui permettait de contrôler les agissements des militaires justiciers dans le film original. Ici plus rien ne contrôle les Judge si ce ne sont d'autres Judge. Exit aussi le contre-pouvoir populaire : dans Judge Dredd, un journaliste mène une enquête visant à dénoncer les dérives totalitaires d'un tel personnage, des manifestants hurlent leur haine au pouvoir despotique. Ici rien. Le Judge a deux adversaires: la mafia et ses propres collègues corrompus par celle-ci.

Les deux films ne retirent pas la même substance du comic d'origine. Judge Dredd est un anachronisme. Dans une période de détente internationale relative (fin de la Guerre Froide depuis plus de cinq ans, gouvernement démocrate, diminution des dépenses en armement...), le film de Cannon surfe sur un éventuel réveil fasciste, sur les peurs de la manifestation de rue, de la bombe atomique ou bien du clonage. Autant de thématiques qui se justifiaient dans les années 70 dans une Angleterre en proie à une grave crise sociale, dans laquelle une certaine Margaret Thatcher faisait ses premiers pas en tant que ministre de l'éducation et des sciences (1970-1974) et dans un monde pris dans l'étau nucléaire... Moins dans un film des années 90, sauf pour le clonage (Dolly est clonée l'année suivante, en 1996). L'intrigue est basée sur la rivalité entre Dredd et son frère/clone Rico, le côté obscur du justicier, et sur la solitude du personnage de Stallone. Toutefois, le film de Cannon garde une distance assez forte avec l'idée de toute puissance du Judge, ne valorisant que peu l'idéologie fasciste critiquée dans la BD.

La nouvelle version de Dredd n'a aucun recul vis à vis de cela et semble prendre le propos des dessins au premier degré. Souci d'épure minimaliste, la réflexion politique est ici complètement nulle et la violence hyper-valorisée. Non seulement elle est la réponse implacable mais elle est aussi, par l'abondance de gadgets, par l'invincibilité du Judge, par cette constante association idéelle au jeu vidéo, un objet de désir et d'amusement. La comparse de Karl Urban dans le film, Olivia Thirlby, est d'une confondante complaisance. Censée apporter un contre-poids humain à la froideur expéditive de Dredd, elle n'en fait quasiment rien et, pis, sombre à son tour dans l'explosion de violence, assurant ainsi la victoire fasciste sur sa naïveté humaniste. Son détournement de la fonction de Judge, au final, n'apparaît qu'être un leurre qui appellerait une suite (suite qu'il ne devrait pas y avoir étant donné les résultats catastrophiques du film au BO américain).

De fait Dredd est certainement plus proche de l'esprit du comic anglais mais passe complètement à côté de sa réflexion politique sur l'univers carcéral, sur la répression, la collusion des pouvoirs et le fascisme. Son ultraviolence semble être un rempart à toute réflexion, la déliquescence extrême de la société une justification ultime à son utilisation. Comme bien souvent les adaptations qui ont refusé d'épouser (ou du moins de mettre en avant) le contexte de production et la réflexion politique de l'oeuvre originale se sont cassées la gueule, Dredd passe à côté de son sujet, glorifiant la virilité démesurée de son justicier-canonnier. C'est honteusement fun, horriblement bien fait, dangereusement efficace... Le film n'a pour l'instant aucune date de sortie en France. 

vendredi 5 octobre 2012

The Secret de Pascal Laugier

On ne sait trop quoi penser du cinéma de Pascal Laugier si ce n'est qu'il est inextricablement imparfait, incomplet et pourtant, du moins jusqu'ici, stimulant. The Secret, première aventure hors des frontières nationales (à savoir qu'il s'agit d'une production canadienne et non hollywoodienne comme bon nombre de média aiment à le prétendre...) devait marquer une étape nouvelle dans sa filmographie, lui permettre de passer un cap avec un film ô combien ambitieux et à la bande annonce plutôt prometteuse. 

The Secret raconte un village qui se meurt, Cold Rock, un village délaissé par le monde, délaissé par l'industrie vieillissante et qui perd ses enfants par dizaines. Les enfants disparaissent. Un mystérieux homme surnommé The Tall Man les enlève à leurs parents. Pour qu'on ne les revoit plus jamais. Julia, infirmière qui tient le dispensaire de la ville, ne croit pas à cette légende, jusqu'à ce que ce fameux Tall Man fasse irruption chez elle un soir et enlève son fils. Elle se lance alors à sa poursuite...

La bande annonce, aussi intéressante qu'elle soit (et elle l'était), annonçait avec prétention le principe du film et son fonctionnement sémantique : en annonçant que ce teaser était basé uniquement sur le début du film, Laugier nous signifie que la première partie sera suivie d'un basculement irrémédiable qui remettra en cause l'intégralité des certitudes du spectateur sur ce qui s'est passé. La première des problématiques à laquelle se confronte très rapidement le film de Laugier est justement dans ce twist central : ce que l'on a cru n'était pas vrai. Soit... Mais une fois la bande annonce déconstruire, la seule chose que l'on a en tête c'est : et alors ? A ce twist drôlement placé y succèdent un autre, puis encore un, puis encore... Sans que l'on ne voit clairement comment cette structure accumulatrice puisse servir le sens du récit. La rythmique est lourde, les accords malhabiles. La musique se fait tapageuse et on se met étrangement à repenser au début du film.

A son générique plus précisément. Succession de plans aériens sur des paysages montagnards, des plateaux, des forêts traversées de routes sinueuses, des maisons identiques, banlieusardes. Des interstices de ces pleins, jaillissent dans un rouge vif et criard les noms des différents intervenants. Quand on y pense, on a rarement vu générique aussi laid. Et déjà une drôle d'appréhension nous envahissait. Celle du ratage en règle... Car par delà l'erreur scénaristique imposée par ces twists à répétition dont on finit par pressentir la nature de chacun jusqu'à l'épuisement de toute notre panoplie de bâillements, c'est bien le fond de l'ouvrage qui devient de plus en plus rance. Et c'est à partir de là que ceux qui n'ont pas vu le film s'arrêtent.

Il y a une caractéristique récurrente dans le cinéma de Laugier qui n'est pas sans poser quelques questions. Ses trois longs métrages sont heurtés par une sorte de paranoïa profonde, par l'immensité des complots qui se trament autour de nous, autour des plus faibles. Dans Saint Ange, des expériences étaient menées sur des enfants dans les caves et derrière les murs du pensionnat. Dans Martyrs, une sordide organisation mondiale séquestrait des femmes pour les mener jusqu'à une mort extatique. Dans The Secret, le complot prend une tournure plus sociale, d'une bêtise et d'une naïveté confondantes. Les riches des villes enlèvent leurs enfants aux pauvres campagnards pour les protéger de la déchéance sociale de leurs parents. Pour Laugier, les pauvres ne sont pas capables d'élever leurs enfants. Ils sont sans emploi, ils sont alcooliques, violents... L'air de la liberté se trouve dans les grandes cités urbaines où la culture est à portée de main, où des gens aisés et bien intentionnés sauront, eux, prendre soin de ces pauvres petits anges mal nés... Le réalisateur semble ressusciter l'adage médiéval "L'air de la ville rend libre", réactivant au passage l'acculé clivage entre ville et campagne...

Lecture simpliste, déviance complotiste, propos terriblement dangereux ? On en vient à imaginer que Laugier n'a pas voulu dire ça, mais bien son contraire. Personne n'aide les pauvres à s'en sortir. Cette communauté de chômeurs, abandonnée de tous au milieu des Rocheuses, sans service public, doté d'une police vieillissante et désenchantée est en réalité une incarnation de ces classes populaires qu'on oublie et qu'on accuse, après les avoir dépouillées, d'être responsables de leur propre déclassement social. Une fois le constat fait de leur incurie, il ne reste à ceux qui leur ont tout enlevé qu'une dernière chose à leur ôter : leurs enfants. C'est ce qu'on croit comprendre dans le long monologue final de Jodelle Ferland où celle-ci se demande si elle a bien fait de quitter sa vraie famille. Là encore, le message est naïf, et au vu de l'interminable démonstration de lenteur faite par le réalisateur, on aurait souhaité qu'il aille bien plus loin.

The Secret s'avère donc être une terrible déception, dont on regrettera longtemps que les ambiances travaillées, les rares plans séquences bluffants (celui où Julia est sortie de la maison par la police et traverse la foule jusqu'à la voiture) et la prestation convaincante de Jessica Biel n'ait pas été servis par un scénario à la hauteur...

mercredi 3 octobre 2012

SWANS - The Seer

10 ans à jouer de la guitare acoustique dans Angels of Light, on ne pensait pas qu'une fois de retour dans son gang d'origine Michael Gira serait aussi prolifique. Après un premier album sympathique mais pas indispensable, Mike et sa bande ressortent déjà une suite. Ceux qui ont vu les Swans sur scène savent à quoi s'en tenir: Gira et ses potes ne sont pas là pour se marrer, ni pour faire les troubadours quinquas en dernière tournée mode nostalgique. Non, les mecs sont là pour te souiller, avec une classe apparente mais qui disparaît bien vite quand les amplis rentrent en fusion. Qui a déjà croisé le regard traumatisant de Norman Westberg comprendra - les yeux de reptiles du bonhomme en auront tétanisé quelques uns, quant il affichait une sérénité quasi suspecte, les bras croisés attendant que sa partition le sollicite. Une musique de véritables truands (le prix du disque est un premier indice), celle qui à chaque plan tentera de te plier les deux genoux dans le mauvais sens, produite par des types en chemise et en stetson. Visuellement, les mecs ont déjà misé sur un truc étrange, une sorte de chat à la dentition humaine, dont le blair sort de nulle part, montrant fièrement son anus de l'autre côté. Les cygnes t'emmerdent. Musicalement, probablement pour offrir ce qui se rapprocherait le plus de ses prestations, le groupe a choisi un moyen singulier: l'usure de son auditoire. Après un retour relativement classique, Gira et ses potes ont décidé de publier un album qui vous laminera par sa densité excessive et ses morceaux d'une longueur redoutable. On prend son temps, peut-être même un peu trop. Entre ses attaques fougueuses de free noise, ses aplats americana et ses longs développements psychédéliques, c'est souvent entre le quart d'heure et la demi heure que les mecs semblent s'épanouir, aussi bien dans l'exercice de la surenchère que dans la création d'espace, via ses passages à vide, hypnotiques, où les guitares semblent seules. Et pour un album boursouflé par sa longueur, quoi de mieux que d'inviter la moitié de la planète à jouer dessus ? Akron Family, Karen O (je dois concéder que même si je n'aime Yeah Yeah Yeahs, les morceaux sur lesquels cette jeune femme vient brailler sont toujours des réussites -cf. Millenium), Ben Frost (où ?), Low, Bill Rieflin et même Jarboe, créditée quelque part mais quasi-inaudible, c'est tout l'univers Swans/Young Gods étendu qui se bouscule sur la production des patrons. Alors boursouflé certes, mais soigné et passionnant. Bien que long, on termine The Seer avec l'impression d'avoir ingéré du bon Swans, celui de Children of God, celui de Great Annihilator, bref, celui qui est en forme, et qui s'avère efficace et prolixe.

mardi 2 octobre 2012

BLUT AUS NORD - 777 Cosmosophy

Et voilà donc le troisième et dernier chapitre de la trilogie BAN, commencée il y a un peu plus d'un an avec Sect(s), suivi de Desanctification. Globalement cette aventure s'écoute avec plaisir car Blut Aus Nord n'a pas chômé pour faire briller sa saga, et cette conclusion est une magnifique touche finale. On sait que le projet devrait découler sur 777, qui devrait normalement s'orienter sur des musiques plus axées sur le groove, le beat (hip hop, dub...). Pourtant, si les deux volumes précédents pouvaient laisser entendre un lien avec cette supposée suite, Cosmosophy ne laisse rien deviner quant à cette situation. Ce troisième volume est néanmoins celui de l'accessibilité, de la main tendue. De la lumière serait-on tenté de dire. La pochette est presque blanche. Mais elle est aussi en train de se faire dévorer par une masse informe et organique : reste toujours les voix de zombies et la boite à rythme, toujours increvable, toujours épuisante, qu'on retrouve presque comme une vielle copine à qui on a surtout envie de demander de fermer sa gueule. L'électronique s'impose un peu plus aussi. Sur le deuxième morceau, l'intro se fait en cliquetis digitaux et la fermeture également, trempée dans d'épaisses ondes carrées distordues. La conclusion du disque, et donc de la trilogie, est elle menée glorieusement par un beat qui fait songer aux massives rythmiques inondant Birmingham dans les années 90, avec une sorte de gloire débordante en plus. Mais là où on attendait pas forcément BAN, c'est sur les deux écarts improbables que l'entité dévoile sur ce Cosmosophy. D'un côté, et c'est bien là le plus étonnant, un passage que nous ne qualifierons pas de rap mais plus raisonnablement de spoken word (même si Vindsval causait Kabal dans New Noise il y a quelques mois). Essai court et unique, mais audacieux. En français de surcroît (l'ajout de texte dans le boitier n'était pas nécessaire par contre...). L'autre surprise c'est que si on s'attendait à voir Blut Aus Nord devenir un Pitchshifter moderne et BxM, on ne s'attendait pas à le(s) voir jouer une musique oscillant quelque part entre le gothique et le grunge. Avec ses apparitions de voix claires, éclatantes, on songe (facilement) à Ulver et sa grandiloquence vocale avérée. Couplé aux guitares et au son de mort de la batterie, on est en plein dans ce que le groupe norvégien n'a jamais été (transition nettement plus franche chez ces derniers), ou n'a jamais pris le temps d'être. Les guitares justement. Le point peut-être le plus important de ce disque. BAN a exclu ici les parties extrêmement complexes de MoRT et les constructions à rallonge pour se concentrer sur de courtes phrases (tout est relatif), aux motifs arpégés ou aux nappes évolutives, mais toujours mélodiques. La laideur revendiqué jadis est ici complètement proscrite et chaque riff s'impose par sa puissance, par sa brillance. De plus, ce qui avait été esquissé sur le très énigmatique troisième morceau du volume précédent trouve ici son déploiement totale - notamment ici aussi sur le troisième morceau et sa superbe introduction en arpège: les 6 cordes sont gavées d'effet, de chorus, de phaser, leur donnant un ton définitivement 90's voir grunge-donc. Difficile de ne pas penser à Alice in Chains, ou à Seattle - pour voir plus large; voir même à Type O' Negative à l'écoute de ces guitares transformées, méconnaissables.