vendredi 18 mai 2012

SENSATIONAL & KOUHEI MATSUNAGA, DJ SCOTCH BONNET, C_C, STORMVARX, dDAMAGE- Klub

Oui, c'était bien-au moins y avait du volume contrairement à la dernière fois; sorte de soirée de l'impossible, qui rassemble 40 perdus. C_C donne le ton avec un hip hop électronique (tendance bruit) gonflé aux hormones analos (on croise les doigts pour un beau 12") et Stormvarx, un habitué des ouvertures Wordsound inonde le Klub d'une noise qui prend progressivement forme en rebondissement rythmique. Derrière, Kouhei Matsunaga s'associe à DJ Scotch Bonnet et on hallucine devant le succès tout relatif de ce genre de soirée: un mec qui a signé sur les plus prestigieux labels (Skam, Raster Noton, Wordsound, Mille Plateaux, Important Rec) qui collabore avec les mecs d'Autechre, Pansonic, Merzbow, Asmus Tietchens, cette fois à coté d'un membre de Seefeel, rejoint plus tard par un type qui fascine les plus grands, ex-membres des mythiques Jungle Brothers... tout ça devant une salle peu remplie. Entre déflagration noise et distortions, Sensational recrache l'air inhalée en se promenant entre beats inédits, morceaux de Spectre, fruit de ses collaborations avec Kouhei, avec une aisance étrange, sorte d'open mic maitrisé et totalement en roue libre, le mec demandant à ses DJ de changer de morceaux n'importe quand, demande une autre instru, exige un morceau plus rapide, et trouve toujours un truc à baragouiner par dessus. Du hip hop pur, c'est à dire dans une forme sans limite, au sein duquel le MC "from another planet" est totalement à l'aise.

mercredi 16 mai 2012

Chroniques sexuelles d'une famille d'aujourd'hui de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold

Les films de Barr et Arnold sont formidables à plus d'un titre. Formidables tout d'abord parce qu'ils ne coûtent rien et ne rapportent rien non plus mais trouvent quand même le chemin des salles. Formidables aussi parce qu'ils prennent le contre pied esthétique de toute la production arty d'aujourd'hui : pas de chichi, pas de volutes inexplicables et sidérantes, pas d'étalonnage, une épure fraîche qui se veut l'emprunte du réel sur une fiction théorique à visée documentariste. Formidables enfin parce qu'ils se proposent à chaque fois d'établir avec cohérence une nouvelle éthique de la sexualité au cinéma tout en ratant à chaque fois avec fracas le sujet qu'ils visent. 

Quand je dis à chaque fois, j'exagère... Mais prenons les deux derniers, American Translation et ces Chroniques. Tout deux brillent par leur incroyable candeur et par la cohérence de leur esthétique. Seulement American Translation sonne faux d'un bout à l'autre, pour cause de mauvais dialogues et d'une faiblesse scénaristique corrélative. Chroniques n'est pas bien meilleur de ce point de vue mais ménage quelques moments particulièrement drôles et sincères. La sincérité, c'est très certainement ce que cherche le plus le tandem. Mais à défaut d'avoir de mauvais acteurs, encore faudrait-il qu'ils aient une direction d'acteurs digne de ce nom ! 

Comme dans American Translation, les acteurs de Chroniques sont en vadrouille, tantôt dans des dialogues empesés, tantôt dans un surjeu gêné, gêné par l'enjeu du film. Car l'ambition est puissante : redessiner les contours de la sexualité à l'orée de l'hédonisme, du quotidien et non de la pornographie. Rien que le prétexte vaut le détour en salle. Seulement, nos amis ont eu les yeux plus gros que le ventre, les phalanges plus larges que leurs mains. A défaut d'être bancable, ils ont quand même voulu ouvrir leur film au plus grand nombre et ont coupé 5 minutes de film, à mon avis essentielles, qui leur auraient valu une interdiction aux moins de 16 ans. 

Si bien que sans ces 5 minutes trop explicites, les scènes de sexe perdent tout leur sens. Comment redessiner la sexualité au cinéma si on se prive de la représentation du sexe lui-même ? Qu'il soit en action ou non, la nudité elle-même se retrouve amputée par ce parti pris étrange. Aussi, lorsque Barr et Arnold filment des scènes de sexe, on les trouve au mieux drôles, au pire gênantes voire ennuyeuses. Ennuyeuses car vidées de substance, vidée de la véritable représentation du sexe (du pénis, du vagin et de l'acte de pénétration, tant vaginale, qu'anale ou que buccale (si j'en oublie, faites moi signe)). 

Nuançons ce tableau en louant la performance d'acteurs qui certes, ne brillent pas par leur jeu, mais par leur audace. Parce que oui, c'est difficile de trouver des acteurs capables de s'investir à ce point dans un film et, réciproquement, c'est difficile d'avoir les couilles de venir se les vider devant la caméra (quand on aspire à autres choses qu'au porno). Alors, oui, bravo à Mathias Melloul par exemple, particulièrement gauche et touchant dans sa scène de dépucelage, ou à Yan Brian qui après avoir joué dans Plus belle la vie (!!) s'est risqué à jouer le papy veuf qui entretient une relation avec une prostituée. 

Peut-être aurait-il fallu, du coup, aborder la question d'une façon plus théorique et moins fictionnelle. Cela aurait assurément réduit encore plus le public mais aurait donné un souffle tout à fait différent au film, plus militant, plus intello... Ces Chroniques apparaissent trop simplistes et rigolotes pour nous convaincre qu'elles fouillent réellement le sujet jusqu'à la lie. Et c'est fort dommage.

mardi 15 mai 2012

I Wish de Hirokazu Kore-Eda

Il est mille et une beautés dans le visage d'un enfant que Kore-Eda a, par une science de l'image incandescente, le talent de saisir à chaque plan. I Wish raconte la relation qu'entretiennent deux frères suite à la séparation de leurs parents. L'un est resté avec sa mère, l'autre est parti avec le père. Leur seul lien, c'est ce coup de fil qu'ils se donnent, toujours le même jour de la semaine, après la natation. Le plus grand nourrit l'espoir d'une réunification. Le plus jeune, a du mal à cacher à son frère que ce n'est pas ce qu'il souhaite, mais que pour autant, il ne veut que le meilleur pour son frère, qu'il l'aime quand même. 

Kore-Eda saisit la candeur et la fraîcheur des rêves d'enfants, seuls capables de soulever des montagnes, de dépasser l'impossible. Ses deux gamins s'éloignent des stéréotypes scabreux, rappelant la malice ou la pudeur du petit garçon accompagné par Kitano dans Kikujiro No Natsu. Il dresse également le portrait d'une société japonaise qui change, irrémédiablement, tout en continuant à vivre sous la menace permanente des éléments naturels. Comme si les nouvelles générations apportaient leur lot de vitalité sous la houlette tantôt ravageuse, tantôt grandiose, d'une tradition millénaire. 

Elle est aussi là, la force de Kore-Eda. Capable d'inscrire son cinéma dans la droite lignée d'un maître comme Ozu et de prendre les chemins de traverse que lui montre ses charmants bambins. Ainsi délaisse-t-il quelque peu ses plans fixes si travaillés, qu'il avait tant exploité dans Still Walking pour prendre l'air, gambader, se disperser. Entre la sagesse ancestrale et la vitalité soudaine d'une enfance imprévisible. 

On pourrait croire que I Wish n'a pas de mérite à magnifier les aspirations de l'enfance. Mais loin de se contenter de réaliser les rêves impossibles de gamins aux visages d'ange, il les fait également grandir, plus vite que leurs parents. Face aux éléments intangibles, face à l'histoire qu'ils ne maîtrisent pas, les enfants prennent des responsabilités d'adultes et assument les rêves que leurs parents n'ont pas voulus enterrer. C'est ainsi que Kore-Eda voit l'avenir, entre les mains d'enfants aux rêves joyeux, capables d'un altruisme forcené et d'une raison à toute épreuve. Un bien bel ouvrage, touchant et superbe. 

vendredi 4 mai 2012

ADAM YAUCH/ MCA

De
                                


Jusqu'à


                                          



"MAX RESPECT !"

Si Mike D est l'homme à l'étrange voix plus porté sur le bizness, Ad-Rock le roquet punk hurlant, Adam Yauch a été la force tranquille des Beastie Boys, celui qui se faisait plus discret, mais qui est aussi largement responsable de l'évolution du groupe, de sa mutation, de sa maturité. De ses couplets totalement en décalage avec le ton loufoque largement répandu dans les enregistrements du groupe(cf. "A year and a day") à ses convictions (le Tibet, c'est lui), en passant par ses apports artistiques  ("Awesome", c'est encore lui...) à l'entité Beastie Boys, Yauch a élevé le groupe et lui a donné ce visage humain, évoluant avec le temps. 

Depuis une petite décennie le groupe a amusé par son "grand âge". Le décalage de voir 3 "boys" quadras rapper en casquette faisait sourire, amusait et embarrassait parfois aussi les détracteurs, même si le groupe s'en amusait lui-même (cf. les paroles d' Adam Horovitz "Grandpa been rappin' since 83" par exemple). Et si les Beastie étaient devenus des vieux dans leur domaine, on se rend brutalement compte que 47 ans c'est très jeune. 

Le trio fait probablement partie des groupes les plus importants de la pop culture. Son aura s'est légèrement atténué  ces dernières années, mais tous les gens qui se sont intéressés un jour à la musique au sens large ont aimé ou ont été impacté par la musique des Beastie Boys. Du metalleux au B Boy, du coreux à l'admirateur de Jazz (non, tout le monde ne joue pas à Montreux comme ça) les Beasties font partie des grandes influences. Et au delà. Dans les années 90, beaucoup estimaient que le groupe n'était pas juste une formation musicale, mais représentaient un style de vie à part entière. Aujourd'hui, de la presse au hip hop en passant par le streetwear, beaucoup de mouvements, de musiciens, d'artistes, de magazines, de sites web, doivent quelques choses, de près ou de loin, aux Beastie Boys, à Grand Royal, à X-Large. 
Et c'est en toute logique que les hommages fusent de chaque côté de la toile pour rendre hommage à Yauch. Je ne suis pas sur qu'il existe d'autres formations aussi importantes culturellement, et aussi transe-genre que les Beastie Boys. C'est donc avec parfois d'excellents mots que le groupe est salué, aussi bien par Q Tip que par Converge, par El-P, Outkast, Mr Oizo, Maynard James Keenan, ?uestlove, REM (!), James Iha, Liam Howlett, Wes Borland, Jimmy Fallon, Oprah Winfrey, RZA, Weezer, Green Day, les METS, De La Soul, Tom Morello, Chuck D, Amanda Palmer, Oktopus, Kevin Martin, Perry Farrell, Milla Jovovich, Stephen O'Malley et encore bien d'autres, dans des formules allant du simple "RIP" au plus poétique "Bon voyage Adam", en passant par les remarques sur l'importante partie de New York qui vient de disparaitre. 

On ne parlera pas (trop) des fans anonymes, regrettant un presque grand frère, tant les Beastie ont accompagné nombre de gens, parfois au passé, parfois au présent. Ils sont légions, à s'être passé Paul's boutique, à avoir décortiquer Check Your Head, à s'être murgé sur  Licensed to Ill. Personnellement, une partie de ce que je fais tous les jours, je le dois aux Beastie Boys; tous les disques que j'amasse, je leur dois partiellement. Et il n'y a aucun voyage que j'ai fait duquel je suis revenu sans un disque des 3 dans le sac. 

Il n'y aura peut-être pas de fin du monde cette année, comme prévu, mais ce monde vient de perdre un groupe qui nous fait tous nous éloigner un peu plus de notre jeunesse.




mercredi 2 mai 2012

GANGRENE- Vodka & Ayahuasca

Deuxième coup de latte du duo dynamique, déjà. Prolifique, il faut le souligner. La première production de cette association avait déjà largement séduit, de sa pochette étrange qu'on aurait plutôt imaginer pour un combo grindcore écolo en passant par le 12" en forme de scie circulaire, le genre d'objet qui impose toujours un peu le respect. Un casting soigné aussi: The Alchemist, homme de l'ombre aussi à l'aise avec Dilated People qu'avec les truands de Mobb Deep, collé aux pompes du frangin de Madlib, Oh No, créateur de quelques morceaux imparables (notamment le titre qui ouvrait le dernier Mos Def en date). L'association sous psychotrope se confirme et s'affirme sur ce second LP, véritable ode aux déambulations psychiques en tout genre et aux mélanges brumeux. Le visuel s'éloigne cette fois de la vision cauchemardesque du précédent album, et rappelle aussi bien les visuels d'Adam Jones que la pochette du seul album de Shape Of Broad Minds, "Craft of the lost art".
Il est déjà possible de mentionner quelques disques que l'on qualifierait volontier de hip hop psychédélique, mais Gangrene apporte avec aisance sa pierre à l'édifice. La production de l'album est d'une densité remarquable, incarné par des beats écrasant, comprimant l'espace sonore, tandis que les samples débordent de vie de toute part. Entre ses longues plages de phaser, ses boucles de guitares en roue libre et ses sons de sirènes noyés dans les effets et les accidents audio, on se retrouve dans une excursion au déroulement incertain et aux envolées parfois improbables, comme sur le titre éponyme qui mélange une progression totalement psychédélique pour déboucher brillamment sur une phrase de guitare type 13th Floor elevator se mélangeant au scratchs lapidaires dans une éruption sonore de possédés. Magie noire audio, les deux hémisphères malades des deux amateurs de perceptions modifiées s'accompagnent d'une floppée de MCs proche du groupe (Prodigy, Kool G rap, Evidence...), venus incarner vocalement cette cérémonie opaque. Si l'album brille par ses productions, on ne négligera alors pas la trame "vocale" de l'album, bien que ce "Vodka & Ayahuasca", dynamique et ramassé, s'avère verbeux sur la longueur. Du coup, cette association très réussie (me) rappelle aussi un album devenu classique et issu d'une rencontre entre deux MCs aux univers distinct: "Blackout !" de deux autres grands admirateurs d'herbes.