lundi 29 novembre 2010

Journal d'un festivalier masochiste (seconde séquelle) par Moi


Je suis à la ramasse. Tout d'abord, je n'ai pas pris le temps de finir de déblatérer sur le merveilleux festival Chéries Chéris ou du moins sur sa programmation plus que bancale. Parce que oui, je n'y suis pas allé qu'un week-end mais bien dix jours durant pour y voir une vingtaine de films allant du salutaire documentaire sur la situation des homos en Ouganda au suppliciant film concept de Claude Pérès, Infidèles que je n'ai pas réussi à supporter jusqu'à la fin (première fois de ma vie que je quitte une salle avant la fin d'un film, même pour Un Lac de Grandrieux j'étais resté jusqu'au bout et je peux vous dire qu'il en fallait du courage...) en passant par l'exotisme kitch, cheap et philippin des films de Parungao et d'Altajeros qui continueront longtemps à envier le talent de Brillante Mendoza...

Comble du comble du comble du comble, le grand prix du jury a été remis à l'une des plus affligeantes réalisations que j'ai eu l'occasion de voir durant ces 10 jours de festival, le bien nommé Uncle David dont j'ai parlé dans le billet précédent... La coupe était pleine bien avant la fin du festival mais tout de même! Cela valut au jury d'être chahuté lors de la cérémonie de clôture. C'était la moindre des choses...

Finalement le salut sera venu de deux films européens et des programmes de courts métrages. En effet, Brotherhood, drame danois très sombre sur une liaison interdite entre deux néonazis (allusion aux pratiques des SA qui servirent de prétexte à l'exécution d'Ernst Röhm) méritait de très loin une récompense. Tout comme House Of Boys de Jean Claude Schlim (avec le grand Udo Kier), courageux (mais très imparfait) film sur l'apparition du sida et sa réception dans une maison de passe d'Amsterdam.

Ensuite parce qu'il y a une montagne de films dont j'aimerais parler longuement... Tient, il y a peu, je perdais mon temps à attendre quelque chose quelque part. Par je ne sais quel hasard, je me suis retrouvé dans un rayon dvd d'une grande chaîne de distribution de biens culturels dans laquelle un de mes comparses au crâne rasé a travaillé (je ne peux pas en dire plus, il tient à rester anonyme). J'étais à la recherche d'Amer, un film hommage au Giallo dont je parlerais un autre jour et, que vois-je, une petite pépite que j'ai eu la chance de voir à l'Etrange Festival.

Ils ont osé sortir Pontypool directement en dvd... Les distributeurs sont parfois des gens insensés et criminels qui préfèrent diffuser le remake du Dîner de cons dans moins de 10 salles, avec l'assurance d'un échec certain, alors que se trouvent, sous leurs yeux de professionnels, des choses vraiment intéressantes qui, à défaut d'être des révolutions ultra transgressives ou des chefs d'oeuvre intemporels, sont des films qui dégagent une personnalité forte.

Ce film de Bruce McDonald est un mélange assez savant du Zombie de Romero, du Fog de Carpenter et du Bug de Friedkin. Dans l'Ontario, alors que sévit une tempête de neige, enfermés dans le studio d'une radio locale, quelques animateurs apprennent peu à peu de terrifiantes nouvelles venant de l'extérieur. Le puzzle se construit par le croisement des informations et des témoignages. La pression monte, elle monte même terriblement. McDonald double tout ça d'une paranoïa latente qui s'immisce dans ce qui fait l'essence même de la communication entre les êtres humains du XXIe siècle, le langage. Le film s'ouvre sur un fait divers qui est un somptueux jeu de mot. C'est savoureux. Tout est dans le hors champs, la suggestion, le dehors... Jusqu'à ce que les zombies viennent frapper à la porte du studio. Vraiment si vous traînez comme moi dans le rayon horreur-fantastique, jetez un oeil à la jacket du dvd... Le film, en VO bien sûr, est un très bon moment.

Enfin, c'est véritablement l'actualité brûlante qui m'a fait sortir de mon mutisme circonstancié. Non pas que je me mortifiasse (hum le subjonctif imparfait qui claque) douloureusement comme l'a fait notre nostalgique Big Ad sur son blog (et bing j'te fais de la pub) à propos de la mort de Leslie Nielsen. C'est juste que mercredi c'est le jour des sorties, et qu'est-ce qui sort mercredi? Un film qui a fait un gros buzz sur le net et qui a clôturé l'Etrange Festival (vous allez trouver que je radote mais j'espère au moins que tout ça vous donne envie d'y aller à ce putain de festoch!), j'ai nommé Monsters.

Monsters fait le buzz car on le compare à District 9 de Neill Blomkamp (bizarrement la première fois que j'ai écrit son nom c'est son prénom que j'ai mal orthographié... allez comprendre), parce qu'il n'a coûté que 15.000 dollars (et quand on voit le résultat on se demande comment c'est possible) et parce qu'il est l'oeuvre d'un illustre inconnu tout droit sorti de l'école de ciné, un certain Gareth Edwards.

Démentons une première chose: le film a en réalité coûté 200.000 $ ce qui n'enlève vraiment rien à la beauté plastique de l'ensemble, notamment celle des effets spéciaux. Monsters est l'histoire d'un gars et d'une fille forcé de faire un bout de route ensemble. Le problème c'est qu'ils doivent traverser une zone "infectée" qui s'étale sur une partie du Mexique et des Etats-Unis où vivent de vilaines bestioles extraterrestres.

Edwards pour son premier film livre une parabole politique sincère mais un brin naïve. Même s'il ne devait pas se tourner là au départ, le choix de la frontière américano-mexicaine n'est pas le fruit du hasard. L'analogie faite avec la politique migratoire mise en place conjointement par les deux pays, est évidente et matérialisé par ce mur gigantesque censé empêcher les aliens d'entrer sur le territoire américain. La peur de l'autre, de l'inconnu, de l'envahissement. Celle de la guerre aussi, toujours aussi présente dans les pays anglo-saxons (rappelons qu'Edwards est anglais et pas américain).

Certainement trop affairé à chercher un réalisme qui amène pourtant le film sur les chemins d'un onirisme étrange, humide et brumeux, il en oublie peut-être d'insuffler quelque chose de palpable dans ses personnages, trop en retrait. Le film est souvent contemplatif, pour le plus grand plaisir des yeux. Mais on aurait aimé un souffle, quelque chose qui vous prenne vraiment par les tripes pour adhérer complètement aux intentions du réalisateur. Pour finir je n'oublie pas que j'écris sur un blog initialement dédié à la musique. Sachez donc que la musique est l'oeuvre de Jon Hopkins, comparse d'un certain Brian Eno... Les mélomanes que vous êtes apprécierons peut-être.

Brian Eno - Small Craft on a milk sea

Warp est mort. Vive Warp. Le label n'a plus le monopole du bon goût et des trouvailles folles. Il paraitrait même (selon un dealer de disque toulousain), qu'ils pressent à moins d'exemplaires. Serait-ce une esbrouffe pour m'expliquer que j'arrive trop tard pour toper le Move on ten d'Autechre en LP ? Ou alors un choix commercial qui privilégie l'édition de t shirts boards of canada (foutrement moins risqué, on leur accorde). Pourtant 2010 aura été un bon cru pour le label. D'abord deux Autechre, et d'excellente factures. Ensuite un PVT qui il faut l'avouer était magique. Et pour couronner le tout, on apprend que Brian Eno sort son nouveau disque chez eux. Événement en soi. Du coup j'ai voulu éviter de me spoiler à tout prix. Ne rien lire, ne pas écouter les teasers en tous genres. J'avais envie d'être surpris par ce grand Monsieur. Pour la surprise, on repassera. Par contre, pour le reste, on atteint la dose requise de plaisir sonore en tous genres. Brian Eno a abandonné l'expérimentation depuis quelques temps, c'est chose sure. Mais sur cet album, il a aussi abandonné le mauvais goût pop, mais aussi les différentes collaborations ennuyeuses avec des branleurs de manches hyperactifs. Brian Eno revient à l'essence de ce qui le caractérise:triturer les sons et les agencer de manière à créer une ambiance. Le parrain de l'ambiant music reprend son leg en quelque sorte. Et avec panache. La dose minimale :un bidouilleur de génie, un piano et une guitare. Ce qui chez d'autres artistes me hérisserait au plus haut point, de naïveté contemplative répugnante de mauvais goût, arrive ici en plein cœur de la cible. Eno semble naviguer dans plusieurs terrains dont il est friand, de l'ambiant la plus pure jusqu'à l'electronica dont il a défriche le paysage, en passant par le goût des sonorités dissonantes mais pas trop. Small craft on a Milk sea est un disque en mouvement, qui avance clairement sans regarder derrière lui. Eno retrouve l'alchimie qui a fait de sa musique simpliste quelque chose de sophistiqué. L'agencement des boucles, la reprise de sons, le choix des rythmiques (purement moderne sur cet effort, comme s'il se décidait à entrer dans une nouvelle ère) et son héritage rock n roll/pop forment un tout cohérent qui permet à Eno de livrer un de ses tous meilleurs disques. (Warp)

samedi 27 novembre 2010

Arbee - La permanence de l'objet

Arbee est le projet solo d'un des membres d'anachronicxp (www.anachronicxp.com), et ami d'E1000 (chroniqué dans ces pages). D'ailleurs la permanence de l'objet sort sur les ondes carrées, label qui a sorti l'ep d'E1000 en premier lieu avant la réédition française de Chez kito kat records. Ici, rien à voir avec l'electro musclée de son camarade. Arbee en 18 minutes joue avec les sons et les ambiances à la manière d'un Autechre première période, qui n'est pas sans rappeler l'Autechre d'Oversteps. Cette façon d'agencer les rythmiques aux nappes et d'occuper l'espace sonore sans concession pour créer une sorte d'arythmie doucereuse. Les contrepoints rythmiques s'éclipsent pour laisser place à des ambiances minutieuses et des crescendos ambiant qui font mouche. La musique d'Arbee possède quelque chose de planant voire psychédélique, comme un Boards of Canada quitté de toute influence hip hop. En rien intellectuelles et complétement décontractées, les idées d'arbee triturent le spectre sonique pour donner corps aux formes désirées. Arbee prend son temps et laisse les machines instaurer leur propres climats à base de percées minimalistes (comme chez Eno). Minutieux et stakhanoviste, le travail de la permanence de l'objet est un encouragement à soigner ses productions, à l'heure où quantités de soi disant artistes s'improvisent IDM en oubliant le principal attrait de ce genre de productions :le climat instauré. On imagine Arbee collaborer avec Dog bless you sur une sortie, pour la complémentarité avec les influences hip hop du dog, et l'allure lunaire que peut revêtir leur musique. Puis un disque qui s'appelle permanence de l'objet donne envie de le tenir dans ses mains, même si vous pouvez déjà vous faire une idée en le téléchargeant sur http://arbee.bandcamp.com . (Les ondes carrées).

mardi 23 novembre 2010

ANBB: Alva Noto & Blixa Bargeld - Mimikry

L'ep qui avait précédé cet album était un manifeste de la musique concrète et électronique moderne, réalisée par deux de ses maîtres passés et futurs. Le thème ayant déjà été développé sur la chronique du maxi en question, venons en directement au contenu de cette sortie double LP. On se demande d'abord dans quel sens ont germé les idées. Connaissant la propension de Blixa Bargeld (Einsturzende Neubauten, Nick Cave and the Bad seeds) à improviser et à apprécier la composition fleuve au cours du live, et la minutie d'alva noto dans le choix de ses sonorités, et de la confection d'objets toujours plus originaux, on pourrait se demander quel a été le processus de composition de ces deux apparemment opposés modes de travail. L'ouverture du disque semble être la réponse à cette question. Cette fois ci, Alva Noto semble agencer des phases musicales pré digérées en divisant de courtes sessions et en les accolant avec une cohérence abstraite poignante. Cela commence sur un cri, et un lourd morceau divisé en mouvements qui termine sur quelques notes de pianos. Blixa se pose en maître de cérémonie avec sa voix rauque et permet aux sonorités de Noto de s'envoler et d'atteindre des sphères d'abstraction encore plus passionnantes. On sent encore cette dualité entre les envies modernes d'un Blixa Bargeld qui tend à rendre sa musique de plus en plus sacrée et fragile contre un Alva Noto qui éreinte d'assauts power electronics (la boucle de once again typée Haus Arafna), de glitchs et de musique concrète entourés de passages ambiant réhaussant l'aspect étouffant de sa musique. Deux chansons de l'EP sont reprises et deux autres se retrouvent ici en version alternative, ce qui dispense clairement de l'achat de l'EP pour les retardataires et tend surement à enrager les fidèles de Raster Noton qui trouveront ici six nouvelles compositions. ANBB semble rechercher une expérience sonique totale, à travers l'agencement des mots de Bargeld, de répétitions de sons et d'isolation sonore. La répercussion du son est chaleureuse avec une acoustique étrangement chaude pour un travail de chez Noton et certaines couches sonores typées drones se transforment en de réelles atmosphères oppressantes de part leur présence physique. Bargeld permet à Noto (au grand dam de certains) d'humaniser sa musique tout en renouant avec les origines de la musique industrielle. Comme si Neubauten recevait un lifting de la part de l'élève. La variété des climats fait de Mimikry une sorte de rétrospective hommage à tout un pan de la musique expérimentale, en livrant un disque old school terriblement modernisé. Fascinant autant que repoussant.

vendredi 19 novembre 2010

NORTH MANC BEDS - Mancweb


Je ne suis pas systématiquement ce qui sort de chez Skam, les sorties du label n'étant pas forcément disponible. Dommage car une constante, outre la musique, électronique, Autechre-esque (forcément) est le soin apporté aux objets, où moult disques du label sont caractérisés par la présence de stickers en braille sur les pochettes. Ce maxi de Morth Manc Beds, déjà responsable de quelques 12", ne va pas à contresens: tout est sur le label central, mais accompagné d'un horizon industriel grisâtre imprimé sur une feuille calque qui ne semble correspondre à aucun format. L'achat se fait en confiance. Musicalement, ce collectif discret et mystérieux dont le nom complet est The North Manchester Bedroom Allstars, produit une électro qui trouve logiquement sa place sur le label anglais: froide, complexe. Les machines s'expriment comme chez nombre de leur collègue de label, sauf que le groupe oscille parfois entre les franches réussites et les tentatives casse-gueule, comme sur le premier morceau de la seconde face, riff synthétique mal collé sur une boucle, qui semble ne jamais vraiment aller nulle part. La suite est par exemple bien plus convaincante avec une plage en forme de cavalcade rythmique pas éloigné de certains morceaux des frêres poussières (Fight Club), ou encore ce morceau final, habité par un cor synthétique (Coil?). La première face (il y a un début à tout) commence par des crissements électroniques usant, et se termine par un morceau qui sonne comme un inédit de Gescom. Il fait gris, c'est le moment idéal pour ce genre de disque.

jeudi 18 novembre 2010

COMITY-you left us here.../the Andy Warhol sucks ep


Ecouter Comity aujourd'hui me replonge immédiatement vers une période pas si lointaine, celle des concerts à 4€ dans les salles les plus crasseuses de Paris, de l'oppulence de groupes pillant le "Hardcore Chaotique" de Converge et de Breach, des distros, d'une époque où tout le monde n'avait pas un tatoo colossal sur le bras, et tutti quanti. Vieux con? Je ne pense pas, tout ce folklore doit encore exister, mais les scènes changent, et les gens vieillissent me direz vous. Breach, Bloodlet, Coalesce, Botch se sont à peu près tous séparé entre 2002 et 2004, leur influence s'est évaporée, le "sludge" et le "post hardcore" sont passés par là.
Le rapport avec Comity? En fait, ce qui me replonge là dedans, c'est ce vinyle gris marbré (un ancien truc courant) et les titres de Andy Warhol sucks. Quelle bonne idée de gravé sur un seul 12" l'ensemble des morceaux que je n'ai jamais posssédé auparavant. Sans connaitre réellement les morceaux de cette face, ils me sont bien sur familier, dû au nombre de fois où j'ai vu le groupe sur scène dans ces eaux là. Il manque les hurlements de tout le groupe sur la petite pauses de 4 temps au tout début du premier morceau il me semble. Bref, Comity sur cet EP était arrivé, je pense, au bout de sa formule et de ses tics musicaux, notamment dans le jeu de guitare très caractéristique. On passe donc assez rapidement sur cette face pas désagréable, pour "complétiste"- ces morceaux étaient disponible sur la version US du premier album du groupe.
Je crois me souvenir que mon collègue avait parlé, peut-être pas dans ses pages, de l'album qui suivit, et qu'il l'avait apprécié: à juste titre. Le groupe a fait un bon qualitatif dans sa composition remarquable. Moins hystérique, plus réfléchie, Comity propose depuis son second album une musique plus singulière, difficilement rattachable à d'autres formations. Avec ce "You left us here...", premièrement sorti en CD et qui suivit un split qui n'en fut pas un, la maitrise du son du groupe est extraordinaire: la batterie occupe une place acoustique profonde et naturelle, là où les guitares jouent sur une limite ténue entre le son clair et distordu. Une longue plage, densément composée, présente un groupe qui en marge de toute scène, aujourd'hui n'a pas peur de prendre de vrais risques pour imposer sa personnalité. Les critiques sur le manque d'évènement dans ce disques ont été nombreuses, mais force est de constater que Comity construit sa musique comme aucun autre, tout en tension et en développement. Une écriture musicale brillante et audacieuse qui, bien sur, peut décontenancer. Le seul point noir au tableau: avec la rigueur musicale, l'ensemble est tout de même bien verbeux.

mercredi 17 novembre 2010

Eskmo - Eskmo

J'ai eu beaucoup de mal avec ce disque au premier abord. J'y voyais une sorte de flou electronica qui en faisait trop et qui perdait en route l'essence même du son. Pourtant j'y revenais irrémédiablement, sans bien comprendre pourquoi. Il y avait clairement quelque chose de fascinant dans ce disque dont le sens m'échappait. Cela faisait quelques années qu'Eskmo roulait sa bosse (depuis 1999) au sein d'autres écuries telles que Warp ou Planet Mu. Sa musique était jusque là bridée par les formats dancefloor et la collection de maxi qui ne permettait pas à l'artiste de s'exprimer. Une paire de singles en mains, le voilà 10 ans après sur Ninja Tune, avec cette fois ci la possibilité de ''créer des petits univers à partir de sons et de textes'' comme il le dit lui même. Et c'est ce qu'il fait, et qui rend sûrement sa musique si exigeante. Quantités de monde se rencontrent dans cet album éponyme, passant des sonorités ''Planet Muiennes'' c'est à dire glitchs et base dubstep en fond au sonorités warpiennes pour le côté onirique de son electronica. Par dessus se greffe sa voix robotique et triturée, passant du crooner au cyborg version John Balance sous une armada d'effets. Eskmo prend en contrepied son propre écueil en détruisant aussitôt ce qu'il construit à base de groove boiteux ou de funk mourant. La musique d'Eskmo fait corps grâce à cette production alien semblant transformer tous les sons en assauts cybernétiques. Loin d'un carcan club, ce faux disque est en soi le manifeste d'un homme qui peut s'exprimer sur longue durée pour s'extraire des propres cases où il avait pu s'inscrire. Rebutant par son aspect foutraque et anti tubesque, par son aspect dénué de mélodie et cet onirisme passif éthylique, la musique d'Eskmo est avant tout personnelle, et demande un certain effort qui permet d'ouvrir les portes d'un univers à part dans les musiques électroniques modernes. (Ninja Tune) Myspace

lundi 15 novembre 2010

PUBLIC ENEMY- Elysée Montmartre


Big Ad, qui a déjà écrit dans ses pages, a fait un truc dans sa vie, assez inavouable, mais qui lui permet d'avoir ses petites entrées pour des concerts pas inintéressants. Du coup, c'est une proposition bienvenue que de partager une entrée pour aller voir Public Enemy, au vue de la rançon demandée pour assister au concert.
En première partie, j'ai copieusement raté un groupe dont je n'ai absolument rien retenu si ce n'est qu'un des types sur scène portait un tee des Hyeroglyphics, posse de Del Tha Funkee Homosapien, qui ont été suivi par une damoiselle en leggin/casquette sans le son, puis par un groupe fusion que je qualifia gentiment de groupe de fin de siècle révolu pendant que Big Ad analysa "on dirait les groupes de la BO d'American Pie", ce qui doit probablement constituer l'insulte la plus belliqueuse jamais usé sur ce site.
Choses sérieuses maintenant: PE en 2010. L'argument du concert ce sont les vingts berges de Fear Of a Black Planet, l'album obligatoire du groupe, un disque dont on ne peut affirmer pleinement jusqu'où son influence s'arrêtera. Pas maintenant en tout cas. Mais c'est aussi un groupe qui n'a plus sa superbe, qui cachetonne salement pour renflouer les caisses, et qui ne génère plus le même respect qu' au siècle dernier. Sans compter les rumeurs d'un Chuck D essoufflé et d'un Flav grabataire (après tout, Terminator X possède désormais une ferme où il élève des autruches, comme quoi la retraite chez PE a son petit charme). Pourtant, Flav prend le temps d'assurer à son public que ce soir, tout le monde en aura pour son argent, avant de sortir son délicat pendentif, créant l'hystérie des fans des premiers rangs, tout en enquillant sauvagement sur Welcome to the terrordome. Malgré la sécu qui fait ses petites chorégraphies (histoire d'emmener toute la famille en tournée), le besoin pour le groupe de faire une pause entre chaque morceau (parfois longue, la pause, même si Flav derrière une batterie vaut le coup d'oeil), et les flows datés (Chuck D n'est ni Busta Rhyme, ni BusDriver), Public Enemy sur scène est un impressionnant spectacle qui se démène pendant deux heures en tentant de ne pas relâcher la pression que ce soit en ressortant Bring The Noise, Burn Holywood Burn (accéléré), Don't Believe the Hype (et où les boulets se sont enchaînés sur scène pour tuer le temps) ou en présentant un single un peu mollason tiré de l'album à venir, accompagné de son groupe basse/batterie/guitare -des mecs ayant aussi bien joué avec Ja Rule, Jay Z que Stetsasonic ou Big Daddy Kane. Même si concient d'avoir raté l'age d'or du groupe, Public Enemy pourrait ressembler à une question récurrente du courrier des lecteurs de Rock n Folk: PE en 2010 toujours opérationnel. Gros concert, avec l'énergie et le chaos recherchés des enregistrements toujours aussi remarquable!

Journal d’un festivalier masochiste (première séquelle) par Moi.

Ce n’est guère une révélation mais le fait d’être concerné par quelque chose aide sensiblement à aiguiser l’intérêt que l’on peut avoir pour elle. Le fait d’avoir un abonnement au Forum des Images aussi… Je prends ici le parti un peu narcissique j’en conviens, de faire échos de mes curiosités et donc de mes pérégrinations du week-end. En gros je vais vous raconter ma vie quoi, mais pas comme la midinette qui pleurniche sur ses déboires sentimentaux, ni comme les Inrocks qui s’imaginent faire de l’anthropologie sociale parce qu’ils ont papoté avec quatre gamins à Châtelet.

Je vais plutôt faire le mercenaire pédé et cinéphile, celui qui gratte à tous les râteliers pour tenter de voir quelque chose de nouveau que personne d’autre ne verra et pour pas trop cher… J’aurai pu pour le coup intituler la chronique « De l’excentricité en Cinéma »… Mais ça aurait fait un peu pompeux… En route donc, bien serré dans ma veste, parapluie noir à la main, pour le Forum des Images où se déroule, du 12 au 21 novembre le festival Chéries Chéris consacré aux cinémas gays, lesbiens et trans. On est samedi, j’ai déjà raté l’ouverture du festival (ce qui a le don de mettre mes quelques cheveux sur le crane hors d’eux). C’est d’autant plus dommage qu’un film d’ouverture donne généralement le ton, la tendance générale d’un événement comme celui-ci. Il faudra se contenter de la deuxième mouture qui, si le premier film a été bon, devrait s’engager dans la même veine.

Quoi de mieux pour débuter qu’un film canadien ? Bon ok, comme ça c’est pas évident, mais bon, faut bien commencer par quelque chose. Première séance du week-end, un brin d’excitation (je ne devrais plus, quand même, ce n’est pas mon premier festival) avant d’entrer dans la salle 300 pour y voir Off World qu’on nous présente comme le petit chef d’œuvre d’un jeune réalisateur français, Mateo Guez. Et quel chef d’œuvre mes amis ! Dans une boursouflure que je n’ai que très rarement connue, Guez nous conte le voyage initiatique d’un jeune canadien d’adoption, de retour aux Philippines pour y retrouver ses racines. Ô miracle, il y retrouve son frère, un jeune prostitué gay, sa mère (dans un torrent de larmes et un élan d’instinct maternel d’une cosmicité sidérante) et puis tant qu’à faire, l’amour aussi. Guez réussit presque une performance de haut vol en faisant de chaque plan un potentiel, un espéré, un désiré plan de fin !

Et on le supplierait même d’abréger nos souffrance le plus vite possible tant la pesanteur moite de sa narration déstructurée (et parfois peu compréhensible) nous comble d’un profond ennui. Mais non, il ne recule devant rien le garçon, aucun cliché ne lui fait peur, pas même de nourrir son monstre mélodramatique d’une marmelade sentimentalisante imbuvable. Difficile de douter pourtant de la sincérité du monsieur, mais ces effets de style outranciers, cette surenchère laborieuse de chaque instant, appuyée par une musique répétitive et condescendante… Non franchement, la lamentation, la contrition, moi depuis Twilight, je peux plus quoi.

Cette encyclopédie de tout ce qui peut desservir le cinéma homo s’achève en nous lessivant jusqu’au bout. Parce que ouais, comme un bon cinéphile un peu maso, je reste dans la salle tant que le générique n’est pas fini et que la lumière ne s’est pas allumée, histoire de repérer qui est le régisseur ou de savoir si la mairie d’Issy-les-Moulineaux a participé au financement… Bon bah en plus d’apprendre que c’est papa et maman qui ont financé le film, on a la chance d’assister au plus long générique de l’histoire du cinéma… Au moins 5 minutes de blackout entrecoupé de photos de gamins qui pataugent dans les ordures de Manille. La classe le reportage photo ! Et puis merci Motorola hein, pour avoir prêté le matos… On en oublierait même que la photographie du film, ses couleurs ou ses mouvements de grue étaient superbes.

Pouah ! On enchaîne vite, on file en salle 500. On imagine que ce n’était qu’un accident et que Uncle David, film britannique coréalisé par Gary Reich, Mike Nicholls et David Hoyle (qui tient le rôle titre du film) va relever un peu le niveau. Qui dit film britannique dit comédie sur fond social, un truc comme ça, ça va forcément être un truc sympa. A un pote qui m’accompagne : « En plus y a un acteur porno gay dedans… Comment il s’appelle déjà… Ashley Ryder… Tu connais ? Moi non plus. Bon on verra bien ».

Bah… comment dire… Déjà résumons vite fait l’intrigue : un oncle (David Hoyle donc) et son neveu (Ashley Ryder) entretiennent une relation amoureuse qui va pousser le premier à accompagner le second dans une mort qu’il désire et qui doit changer le sort de l’humanité… Moi avec un pitch comme ça, je m’attends à quelque chose d’assez nihiliste, qui va chercher du côté de la post apocalypse… L’apocalypse n’aura pas lieu, et si l’éphèbe (étrangement mal monté d’ailleurs pour une pornstar, m’enfin) meurt bien après trois injections d’un produit inconnu, est bien enterré dans le sable noir d’une triste plage anglaise, on n'aura vraiment rien eu de cinématographique à se mettre sous la dent.

Le film traîne une carcasse de dialogues navrants et redondants qui nous promettent sans cesse la mort et le changement et font l’éternel même constat d’un monde à la déroute… Soit. Pas d’action, pas de péripétie, pas de direction d’acteurs (presque toujours en impro), pas de cadreur visiblement, pas de monteur professionnel, pas d’humour, personne non plus pour effacer cette perche ou l’ombre du caméraman qui entre dans le champ… Pas vraiment de cinéma quoi… Le film est d’une telle vacuité qu’on en oublie complètement la nature de la relation entre les deux personnages !

Bon, que faire, que dire… On sort de la salle, à bout de souffle, un peu amer. Avec mon pote nous nous séparons. Lui décide de rester au festival pour aller voir L.A. Zombie de Bruce LaBruce que j’ai déjà vu à l’Etrange Festival et qui relève à peine le niveau. Moi j’ai besoin d’air, d’oxygène. De rire aussi, non par cynisme ou désespoir, mais parce que c’est drôle. Direction le Nouveau Latina pour une Absurde Séance spéciale Hardcore.

21h50, juste le temps de descendre une petite bière (offerte par l’Absurde) avant de rentrer en salle pour deux films d’horreur qui vous rentrent violemment dans le bide. Comme amuse gueule, un petit Rape and Revenge made in Argentine intitulé I’ll Never Die Alone (No Moriré Sola). Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est le rape and revenge, direction La dernière maison sur la gauche de Wes Craven : de jeunes demoiselles se font enlever par des vilains machos qui les tabassent et les violent dans les bois avant qu’elles ne se vengent. C’est ça le RaR. Le scénario est le même pour I’ll Never Die Alone, sauf qu’on est dans la Pampa. Rien d’extraordinaire si ce n’est un viol d’une bonne vingtaine de minutes, tourné en quelques plans fixes… Niveau réalisation on n’est pas servi : gros plan sur un cul poilu, longs plans séquences sur des filles qui rebouchent un trou. Bref, si j’ai changé de lieu je n’ai pas l’impression que la qualité de ce que je regarde soit différente… Ce tout petit film argentin n’a en effet que peu d’intérêt si ce n’est d’émoustiller les jeunes bouffeurs de pop-corn.

La véritable attraction de la soirée, et même de la journée du coup, c’est la première française du méchamment sadique et pervers The Human Centipede. Ce film néerlandais de Tom Six, narre la folle expérience d’un chirurgien allemand, autrefois spécialiste des séparations de siamois, qui décide de réaliser un mille-pattes humain, reliant trois personnes de la bouche…à l’anus. Non je ne vous ferai pas de schéma. Oui, ça veut bien dire que lorsque le premier de la chaîne fait caca, il le fait dans la bouche du second qui le fait ensuite dans la bouche du troisième...

Enfin, enfin un peu d’humour putain de bordel de merde ! Le film annonce directement la couleur : notre psychopathe, enfermé dans sa voiture caresse en pleurnichant, une photo de ses trois chiens à qui il a fait subir le même sort. Le ton est donné, le reste n’est qu’un pur plaisir sadique, emmené par le brillantissime Dieter Laser, acteur complètement inconnu mais à la tronche qu’on n’est pas prêt d’oublier ! La salle est hilare, moi aussi d’ailleurs, je prends mon pied devant ce bonheur injurieux et cynique, s’inspirant des expériences menées par les nazis durant la seconde guerre mondiale. Le film va loin, donnant une incroyable aura à son chirurgien fou et nous confrontant à toutes ces petites peurs qui nous taraudent quand on va chez le médecin ou à l’hôpital… Et puis on est bien heureux de les voir, ces deux pouffes, tomber grossièrement dans le panneau et se faire coudre le bec et arracher les dents. Ca sauve la soirée. La journée même… Je ne pensais jamais dire ça mais, comme on dit chez Drucker, vivement dimanche...

mercredi 10 novembre 2010

The Front Porch Poets - Off the record

For the record, le premier album (auto-produit et chroniqué ici) était une belle surprise dans le microcosme du hip hop. Depuis la sortie de cet album, les FPP n'ont pas chômé et ont proposé leurs morceaux à différents producteurs parmi leurs amis ou leurs contacts pour se prêter au jeu des remixes. Idée pas forcément enthousiasmante mais qui au fond résume l'essence de la production hip hop. Les morceaux seraient protéiformes et pourraient être soumis à quantités de variations différentes selon les soundsystems. Jeeja est toujours là, The Bums aussi, et c'est dans un esprit purement créatif que les Front Porch Poets nous lancent ces morceaux remaniés dans une trilogie en hommage au disque. Les sessions ayant été productives, à l'arrivée c'est un deuxième album (on the record) qui arrivera en début 2011. Qu'en est il de ces versions ? D'abord signaler le talent de producteur de Dave Redi, qui en stakhanoviste et perfectionniste ultime nous concocte un morceau inédit en direct de son salon : Deaf Tones. En gros le morceau le plus efficace de l'album, avec un beat et une mélodie entêtante comme une bonne idée. Deuxième constat : les remixes en sont vraiment et les morceaux sont pour la plupart méconaissables à part les refrains qui faisaient mouches au temps du premier disque (Wonderin, soul survivor). A l'arrivée, l'hommage au hip hop old school se ressent moins, et les productions sont toutes plus remplies, pleines de détails et fourmillent parfois de sonorités un peu kitsh. L'exemple flagrant est ce massacre du tube ultime qu'était soul survivor qui se retrouve confiné dans un morceau plein d'échos ajusté sur un beat vulgos. A l'arrivée on ressent moins de fluidité que sur For the record, certains passages paraissent presque forcés mais il est clair que off the record présente une nouvelle facette des FPP, beaucoup plus chill, moins rentre dedans, plus aérée et peut être aussi plus moderne. C'est surement sur ce point que le bât blesse, dans cette recherche de plus de richesse, du remaniement à tout prix. L'exercice était casse gueule d'entrée, et le teaser qu'était Trunk music (d'ailleurs cette version là est bien plus intéressante que celle de l'album) est confirmé sur la durée de l'album. On sent qu'Off the record est une étape dans l'évolution du duo qui se cherche et essaye d'expérimenter. Moins de scratchs qui débarquent comme un cheveu sur la soupe, plus d'instruments, une production plus léchée, mais un tout qui manque encore de maitrise et qui manque surtout fatalement de cohérence. Dave Redi surnage au milieu de ce fourmillement d'idées et livre les meilleurs morceaux de l'album, au feeling tubesque impressionnant de maitrise (ease off et Deaf tones font à eux deux l'album). Connaissant le gaillard, ses envies de sampler tout ce qui bouge trouvent de plus en plus satisfaction, et avec une jolie maestria. En attendant la fin de la trilogie, en espérant qu'elle ne consistera pas en fonds de tiroirs, vous pouvez télécharger le disque sur www.frontporchpoets.bandcamp.com et éventuellement leur filer un coup de pouce financier.

lundi 8 novembre 2010

Rubber de Quentin Dupieux

Je ne sais pas si Eric Besson me considérerai comme un « bon français » si je lui avouais, presque honteux, que je n’ai jamais compris le mythe humoristique construit autour du film de Francis Veber, Le dîner de cons. Je parle bien de mythe, tant ce cadavre d’humour falot habite encore de nos jours, douze ans après sa sortie, l’inconscient collectif de millions de Français qui furent la proie du rire facile et du jeu de mot bêta sorti tout droit du bidet d’une chevrette neurasthénique. La génération post 98 a elle aussi été contaminée, balbutiant grassement la blague de « Juste qu’a pas de prénom », se gaussant frénétiquement en mâchant son Twix à 16h à la sortie du lycée, en écoutant le Caribou des Pixies, sans savoir « c’est qui les Pixies » mais en trouvant quand même qu’ils ont drôlement pompé Damon Albarn. Symptôme d’une dispersion intergénérationnelle du mal, d’une dislocation prégnante de la classe moyenne et de l’omnipotence de sa subculture vaseuse, fruit du ravage des rediffusions de la dogmatique première chaîne.

Drôle de façon d’introduire Rubber me direz-vous. J’y arrive, lentement mais sûrement. Le drame risque de se perpétuer dans les générations futures et, pire encore, dans le monde entier. Si l’Amérique n’est plus le mythe qu’elle était, la puissance de son soft power correspond encore à une inondation hebdomadaire de films US dans les salles de cinéma. Et voilà donc que débarque, ce mercredi 10 novembre, The Dinner remake de notre boutade française, porté par (l’excellent) Steve Carell. Comprenez mon angoisse : des milliers de gens, nostalgiques pensant se remémorer un mauvais film qu’ils ont tant aimé, patriotes trop fiers de voir la France rayonner par procuration, jeunes poussés par l’inertie de groupe qui vont se laisser happer par l’effet de masse… Autant de victimes innocentes (naïves… niaises… pire…) qui vont très certainement se priver d’un monument d’absurde, de subtilité et de dérision, j’ai nommé RUBBER !

On apprend jamais aux enfants ni aux promeneurs à se méfier du pneu qui dort dans les sables silencieux. Et pourtant, à en croire Quentin Dupieux (aussi musicalement connu sous le pseudo de Mr Oizo), il y aurait de quoi. Rubber est la douce balade à travers le désert d’un pneu télépathe à la recherche de son passé et d’une fille dont il s’est entiché. Perchés sur une colline, amené là par un drôle de flic et un couard en costume, un panel de spectateurs observe, à travers des jumelles le spectacle qui se déroule sous ses yeux en temps réel. Comprenez que ces zigotos voyeuristes sont un peu comme dans une salle de cinéma à ciel ouvert. Ils y demandent le silence, ils défendent leur place, mais plus étrange, ils y dorment, ils y mangent et ils y meurent. Bref, c’est un petit condensé d’ironie sur les merdes que nous, spectateurs, sommes souvent amenés à voir et sur l’industrie qui les produit, qui nous empoisonne.

Dans sa lente course mélancolique, bercé par de chaudes lumières, notre pneu fait éclater quelques têtes, se contemple dans un miroir, découvrant son corps, découvrant qui il est, mate la superbe Roxanne Mesquida sous la douche... Face à lui ? Une bande de flics déconfits qui surnage dans un bain d’absurdité, d’incompétence et d’incompréhension. La course poursuite est à la fois tranquille et jubilatoire, suave et décousue. On entre dans ce désert avec une paire de charentaises et un sirop grenadine, de grosses lunettes noires sur le nez pour contempler l’incontemplable et l’injustifiable, l’histoire d’un objet animé, solitaire et psychopathe, qui zigouille à tour de roue sans foi ni loi. Une sorte de condensé d’amour violent, sublimé par l’étonnante qualité des images du Canon 5D.

La liberté au bout de l’objectif, seul horizon possible à la création, à l'absolue, Dupieux livre un monument d’absurdité et de drôlerie, finement ciselé et parfaitement cadré, impeccablement mis en musique par lui-même. Son inspiration est une réjouissance de chaque instant, lente, savoureuse, palpitante et solaire. Pourquoi un tel spectacle ? Et bien pour rien. Stephen Spinella l’explique d’ailleurs à merveille dans une longue tirade d’ouverture hilarante pour les uns décontenançante pour les autres. Pourquoi ce film ? No reason. Et ça lui confère un charme fou.

Zeitkratzer - Whitehouse Electronics

Zeikratzer est une dizaine de musiciens classiques (clarinettes, trompettes, trombone, piano, harpe, violon etc...) qui se retrouvent dans différentes villes d'Europe pour des festivals de musiques contemporaines et d'avant garde. Certains de ces évènements sont enregistrés et sortis ensuite sur leur propre label du même nom. Le ''chef d'orchestre'', Reinhold Friedl, épris de passion pour la musique de William Bennett (Whitehouse, un des projets de noise les plus fascinants des temps modernes) explique que l'approche du son qu'a Bennett, cette façon de varier les répétitions dans les assauts et de faire progresser du bruit blanc l'a tout de suite intéressé. Cet intérêt s'est vite transformé en projet lorsque Friedl a rencontré Bennett, rencontre qui fut fructueuse au niveau artistique et qui permit à ces morceaux de voir le jour. Tel le joueur d'échec qu'il est, nous explique Friedl, Bennett est un compositeur d'une précision chirurgicale qui sait exactement où emmener son morceau et où les progressions le méneront malgré ce sentiment d'improvisation sans but dans sa façon de composer. Lorsque Bennett compose, il détruit toutes les traces de cette composition de façon à ne jamais répéter deux fois un travail. Friedl et Bennett se sont donc mis d'accord pour mettre au point une setlist pour ce festival de musique contemporaine à Marseille en 2009, et de choisir au sein de la discographie de Whitehouse quels morceaux interpréter. Les choix se sont portés vers la partie la plus récente de la carrière de Whitehouse (celle que je trouve la moins fascinante, celle ou Bennett s'est entiché d'une passion pour la musique africaine), avec des morceaux extraits de Bird seed, cruise, Racket. Le disque est mixé et arrangé par William Bennett himself. Joli programme donc que de reprendre des morceaux de noise, principalement composés avec des technologies numériques et des machines, avec un mini orchestre d'une dizaine d'instruments.

Pourtant le pari risqué est plus que réussi. Zeitkratzer semble nous livrer sa propre version de la musique de Whitehouse, à travers une compréhension personnelle du langage de Bennett. Une apocalypse sonique, rappelant la force cosmique d'un Sun Ra et son Arkestra tout aussi bien que la dureté biblique d'un Ligeti délivrant l'apocalypse. Un chaos organisé, où l'agencement des pauses et des phrasés musicaux permet de créer une communication avec l'auditeur. Il semble ressortir un pouvoir des interprétations de la musique de Whitehouse par Zeitkratzer, qui sublime des compositions pas forcément des plus passionnantes sur disque (je préfère de loin la première partie de carrière et des disques frontaux comme psychopathia sexualis, même si la recherche tribale et primaire de Bennett sur la fin de sa carrière donne un saveur particulière à ces disques). L'itération des boucles alliée aux cuivres soutenus et à l'arythmie percussive semble former un tout cohérent et attrayant. Un projet intéressant et hors norme qui revisite le catalogue d'un musicien contemporain au centre d'un mouvement culturel. Les deux derniers morceaux sont de réelles incantations, une sorte de transe voodoo et tribale qui nous investit d'une force mystique peu courante. (Zeitkratzer)

dimanche 7 novembre 2010

Teho Teardo - Soundtrack Work 2004 - 2008

La musique de film est un monde à part. Une musique qui est sensée nous faire revivre des scènes, que l'on est sensés accoler à des images ou encore à des situations. Pas mal de compositeurs modernes se frottent à ce défi, notamment un Philip Glass qui en fait toute une obsession avec plus ou moins de réussite (je trouve son travail sur The Hours très réussi et assez obsédant). Teho tehardo est un nouveau nom dans cette spécialité. Il possède un caractéristique : il travaille ses sons directement après lecture du script, ce qui lui permet de se créer un propre visuel avant la création des images. C'est peut être cela qui rend l'écoute de cette compilation de ses travaux si interessante. N'ayant vu aucun des films sur lesquels il a pu travailler, la musique semble parler d'elle même et tisser son propre récit.

Cinq films sont ici compilés, cinéma italien moderne (je suppose) : La Raggaza del Lago, il Passato é una Terra Straniera, Il Divo, L'amico di Famiela, Lavorare con Lentezza. Les différents travaux peut être dissociés mais possèdent tout de même une grande cohérence dans cette façon d'agencer les instruments avec une douceur minimaliste et mélodiquement évidente. Cordes rencontrent sonorités électroniques avec un toucher fort nostalgique qui ne sombre jamais dans la mièvrerie. Les morceaux de Teho Tehardo sont courts et gardent toujours cette distance avec la présence sonore. Sa musique semble flotter et créer un nid d'images en apesanteur. Première remarque donc, cette cohérence de style et de sons qui enlève à la compilation ce qui aurait pu être son défaut principal : le manque de cohérence. Pourtant, il fait bon s'aventurer sur une partie plutôt qu'une autre, car certains climats évoluent différemment. Il passato a una terra straniera privilégie les arrangements de cordes touchées et apaisées en offrant les élans rythmiques à de doux arrangements électroniques tandis qu'il Divo semble créer un climat oriental et beaucoup plus ambiant aux sonorités plus modernes et plus graves. C'est d'ailleurs cette partie de la compilation qui a reçu les honneurs du monde de la musique de film avec quantités de prix dont je ne soupçonnais pas l'existence (Prix Ennio Morricone entre autres). Ennio Morricone qui congratule lui même le compositeur en vantant l'originalité de ses travaux. La grandiloquence de sa musique couplée au minimalisme de certaines de ses phrases n'est d'ailleurs pas sans rappeler les grands moments de Morricone (Pour une poignée de dollars). L'approche plus électronique de sa musique semble être une voie interessante vers laquelle s'engouffrer, qui pourrait déboucher sur des boucles mélancolique et éreintantes. Un joli résumé d'un travail musical visuel. Si les cinéphiles qui nous lisent passent par ici, les conseils sur les films ici présents sont bienvenus. (Expanding Records)

Ni - Ni

''We Are the Knights who say Ni''. C'est le sample des Monthy Pythons le plus prisé par ce groupe Mâconnais. Le line up rappellera quelque chose aux français les plus assidus ou aux régionaux habitués aux sessions live. Diatrib(a) pour la plupart, avec un ancien JMPZ qui se rajoute, mais surtout une grosse dose d'humour et de je m'en foutisme vital pour cette scène math quelque chose. Du verbe à en revendre, des proses musicales alambiquées et un propos haletant qui donne le tournis seraient les principales qualités de cet ep condensé qui requiert une attention accrue. Une rythmique épileptique s'adjoint les services de sautillement groovy et funky d'une guitare qui électrise le propos en se métamorphosant en des riffs qui rebondissent. Ni est une convulsion sans démonstration. Là où le propos aurait pu être intello, ou s'intellectualiser de lui même, en jouant sur une rythmique éreintante plus que décomplexée, Ni saccade ses mélodies pour les rendre encore plus entrainantes. Un tourNIs et puis s'en va, une fois les cordes triturées et la musique savante tournée en ridicule. Poppy est un exemple de cette décontraction musicale où Ni avance et libère un plan qui aurait pu bugguer. NI pute NI soumise aux codes qu'ont pu forger leurs prédécesseurs, la musique de NI est vivante. La grâce de ce maxi est de réussir à nous perdre tout en nous tenant par la main au gré des structures labyrinthiques pourtant limpides. Quatre morceaux électriques qui se jouent de nous, qui nous font succomber au plaisir de danser allongé tout en convulsant et qui réussissent à nous faire apprécier le trajet parcouru pour retourner au point de départ. On finit sur une note encore plus festive, les instruments qui forNIquent et succombent aux assauts constants de l'humain qui les attaquent. Car c'est bien le point fort de ces morceaux. On sent encore que c'est l'humain qui se sert de l'instrument, et non pas le contraire. Un CarNIvale reptilien (www.myspace.com/niiii)

vendredi 5 novembre 2010

Teebs - Ardour

Peut être connaitrez vous ce célèbre jeu cheap appelé pixed (ou autre) qui consiste, à partir d'un puzzle de pixels de multiples couleurs, à former un rectangle uni en une certaine quantité de coups, en agrandissant son pixel en regroupant ceux de même couleur. Si cela peut paraître compliqué il n'en est rien. Ardour, le premier disque de Teebs sur Brainfeeder procure un peu le même effet. Sa vie, son oeuvre picturale, et finalement ce disque dont il est question sont en adéquation. On tient ici un objet hautement créatif, haut en couleurs pastels et rempli à ras bord. Un disque où les pixels seraient ces 18 pistes en forme de mini contes, qui assemblées forment une histoire. Un assembleur de génie, capable de se faire côtoyer toutes sortes de sonorités d'horizons diverses dans un même plan, tout en déconstruisant rapidement ces mêmes idées. Un peu à l'image d'Autechre, dans leur façon de livrer une musique intelligente qui parle directement au corps, Teebs alterne chauds et froids, envolées rythmiques et tribales, productions feutrées, ambiances naturelles, electronica rêveuse et hip hop futuriste dans une minutie sonore fondamentalement perfectioniste. Une production ronde qui renforce les impacts rythmiques et embrasse l'aspect mélancolique démontre un savoir faire prodigieux chez ce jeune musicien d'une vingtaine d'années. Ardour fourmille et donne le tournis. Teebs produit une musique à la fois bien dans son temps et à la fois éloignée des modes londoniennes (en signant chez brainfeeder on aurait pu attendre un disque tout autre) ou encore californiennes d'où l'artiste vient. Ardour est le résultat de deux ans de processus créatif, au fil de diverses rencontres, de divers voyages, de diverses tuiles du quotidien et donne ce sentiment d'accomplissement. Teebs a conclu là un magnifique chapitre musical, d'une incroyable richesse et on peine à croire que la prestation pourrait être réitéré tant ce disque respire. (Brainfeeder)

mardi 2 novembre 2010

Buried de Rodrigo Cortès


Avec Buried j’entame ce qu’on pourrait appeler un cycle, constitué de films que j’ai eu la chance de voir en avant-première pour la plupart à l’Etrange Festival qui s’est déroulé au début du mois de septembre dernier. Pour ceux qui ne connaissent pas mais qui sont adeptes de nanars, d’étrangetés, d’horreur, de jusqu’auboutisme ou juste d’expériences sensorielles et cinématographiques inédites, je ne peux que leur conseiller d’aller faire un tour sur le site de l’événement pour pleurer sur ce qu’ils ont raté.

Parenthèse faite, penchons nous sur ce « phénomène » venu d’Espagne. Chaque année ou presque, on nous annonce l’arrivée d’une nouvelle petite pépite tout droit débarquée de la très prolifique industrie du film de genre made in Spain. Le début des années 2000 a en effet marqué l’apparition sur nos écrans d’une nouvelle vague de réalisateurs comme Amenabar, Cerda ou Balaguero qui excellaient dans le genre épouvante/horreur. Depuis, les « phénomènes » se sont multipliés, faisant l’étalage d’un savoir faire de plus en plus admirable et d’une innovation des plus remarquables, transformant la créativité ibérique en un argument de marchandising plus que rentable.

Ces dernières années nous avons donc eu le droit à Lopez Gallego, Fresnadillo, Vigalondo ou encore Plaza. Le petit dernier s’appelle Cortès, comme le Conquistador (ok, on oublie la vanne). Il débarque avec un film qui a rodé un grand nombre de festivals à travers le monde, remportant un succès d’estime qui va lui permettre d’être distribué aux Etats-Unis par Lionsgate, ce qui n’est pas rien.

Le pitch minimaliste en déroutera plus d’un : un homme enterré dans un cercueil au beau milieu de l’Iraq avec pour seuls compagnons un téléphone portable, une lampe torche et un briquet, a une heure et demi environ pour que son gouvernement le retrouve… et le sauve ! La question que soulève dès-lors le présent synopsis est la suivante : mais qu’est-ce qu’il peut bien se passer durant ces putains de 90 minutes ?

Buried semble adopter la règle la plus usitée du théâtre classique, celle de l’unité. Unité de lieu tout d’abord ; comme vous l’aurez compris tout se passe dans ce cercueil et on n’en sort jamais si ce n’est par quelques travellings arrières écrasants qui plongent notre homme dans les entrailles du désert iraquien. Unité de temps ; une heure trente pas plus, c’est la durée du film mais aussi la durée de vie des ustensiles à disposition de Ryan Reynolds pour tenter de se sortir de là. Enfin unité d’action ; c’est le moment où les plus réfractaires, les sceptiques mais aussi les benêts (vous vous rangez où vous voulez) me disent « mais quelle action ? On est enfermé dans un cercueil pendant 1h30, à part se branler j’vois pas c’qu’il peut faire le mec ! ».

A ceux là je répondrai par un argument récemment entendu en cours de la bouche d’une enseignante en cinéma. Elle parlait en ces mots : « Certains disent que les films français sont trop bavards, qu’il n’y a pas d’action. C’est faux. Les dialogues c’est de l’action ». Et Buried en est un exemple parfait.

La mise sous tension joue sur deux tableaux : le premier, évident, est ce sentiment terrible de claustrophobie. Un espace confiné, succession de gros plans et de plans serrés : mis à part deux travellings, on échappe jamais à cette pression de l’espace qui, si petit soit-il, est de plus en plus hostile à la survie du seul protagoniste. C’est un choix ; d’autres auraient préférés montrer l’affairement autour de cet homme enterré mais cela n’aurait pas rendu grand-chose si ce n’est une gesticulation de masse. Ici un homme se débat à l’intérieur, seul. L’extérieur ne lui est presque pas accessible. Pire, quand il l’est, il est incompréhensible, irrationnel, loin d’être rassurant.

Le second c’est l’oppression de l’imaginaire ubiquité. Ce téléphone portable, ce fameux objet sur lequel tient en réalité, l’intégralité de l’intrigue. La véritable question sociétale du film serait alors celle-là : qu’elle société serait la notre sans portable ? Comment survivre, comment savoir, que savoir ? Cet objet à la déconcertante banalité se révèle être aussi bien un atout qu’une contrainte pour l’enterré. Qui appeler ? La police ? Elle ne comprend rien. La famille ? Pourquoi faire ? La CIA, le FBI, le Département d’Etat ?

Cette articulation autour de dialogues parfois improbables avec un extérieur à la désorganisation patente est l’une des plus grandes réussites du film. Buried tourne au pamphlet cinglant, dynamite l’incompétence des institutions américaines, balance sur la désinformation, le mensonge, sans jamais verser ni dans le pathos, ni dans le cynisme. Ca n’évite certes pas à ce huis-clos quelques écueils (le serpent…) là pour combler les très rares temps morts du film. Mais ça lui donne une dimension bien plus riche que celle d’un simple cercueil en bois…