vendredi 29 octobre 2010

Kiss The Past Hello de Larry Clark


Vous vous en doutez, pas la peine de parcourir rapidement la filmographie (assez courte en plus) de Larry Clark pour savoir qu’il ne s’agit pas ici d’un film mais bien de l’exposition dont tout le monde parle (au moins dans le microcosme parisien), notamment à cause de son interdiction au moins de 18 ans.

Ce n’est pas vraiment mon rôle de revenir sur cette interdiction. Il me semble qu’il y a des images qu’un enfant ne peut pas voir et il est bien logique d’attendre qu’il est un certain âge pour qu’il les voit. Il me semble également qu’il est antithétique de faire une exposition sur l’adolescence et de priver les individus qui sont en plein dans cette rude période de mutation boutonneuse de contempler leurs congénères même quand ils s’adonnent à des choses secrètes.

Il est certainement là le tabou premier ; un peu comme une partie de la gente masculine ne s’imagine pas une femme qui éructe ou qui flatule, il apparaît qu’une partie du monde adulte ne croit pas en la sexualité des adolescents. Donc, si l’on poursuit le syllogisme jusqu’au bout, si l’adolescent ne baise pas il n’a pas à voir des images de lui-même en train de baiser… Le problème est bien que si ces images existent, le premier vers du syllogisme est infirmé. Bah oui, faut pas être neuneu quand même. Une interdiction au moins de 12 avec avertissement, aurait peut être suffit. Après tout, personne n’empêche les gamins de se bidonner comme des glands devant L’Origine du Monde de Courbet.

Il serait par ailleurs stupide d’enfermer cette rétrospective dans cette polémique qui n’a pas vraiment lieu d’être. Kiss The Past Hello (jeu de mot avec l’expression Kiss The Past Goodbye) revient sur la quasi-totalité du travail de photographe de Larry Clark, débuté aux côtés de sa mère alors qu’il n’avait que 14 ans. Pour illustrer ce passage assez iconoclaste de sa carrière, on découvre pour la première fois des clichés réalisés par sa mère : bambins emmaillotés, chiens de race déguisés, lumière tendre, léchée, rires forcés… On comprend rapidement que cet univers surfait, construit sur les faux semblants et sur l’artifice forgera un esprit bien plus radical. Le rejet semble inévitable.

La rétrospective est chronologique ; comprenez qu’on ne suit pas seulement l’évolution d’un travail mais aussi celle d’un homme, d’un éternel adolescent ou plutôt, d’un nostalgique. Larry Clark a fondé toute son œuvre autour de cette période charnière du passage à l’âge adulte. De 1963 à 1971, le natif de l’Oklahoma s’aventure dans des groupes de jeunes de sa ville pour en livrer un portrait sordide d’une Amérique qui préfère s’ignorer, une Amérique de la marginalité qui se cache dans la maison de Monsieur Tout le Monde. Les armes, la violence, la prostitution, la drogue. Tulsa, sa ville natale, semble être le théâtre de tous les maux d’une société rongée par la guerre du Viet Nam. Chacune des photos de Tulsa est un petit chef d’œuvre en soi. Lumineuses et irradiantes, profondes et violentes, elles révèlent l’indicible et abattent les tabous sans jamais empiéter sur l’intimité des personnes qui sont photographiées.

C’était pourtant le risque et certains diront assurément le contraire. Pourtant la démarche de Clark évite cet écueil racoleur. Que ce soit pour Tulsa, pour Teenage Lust, 1992 ou Los Angeles, Clark a toujours procédé comme un sociologue le ferait : par l’immersion. Il s’est fait accepter, a adopté les codes, compris les principes de ces générations successives sans juger. Il a su se faire eux et ils le lui ont rendu en se livrant à lui, mettant de côté leur peur de l’objectif, se laissant aller à leur quotidien fait d’effrois, de stupre, d’ennui.

La déambulation du visiteur suit horizontalement ces déflagrations, un peu comme un noctambule qui traverserait les quartiers les moins fréquentables d’une grande ville du monde. On prend coup après coup, on s’étonne de cette proximité, de cette complicité avec ses modèles, avec ses amis.

Au bout de Tulsa, juste avant de tourner vers Teenage Lust, la rétrospective a la très bonne idée de diffuser un film inédit de Clark, daté de 1964. Premier pas de cinéaste, préfiguration de ce que pourra être son Wassup Rockers, son film le plus abouti. Dans un noir et blanc silencieux, Clark suit comme s’il faisait un documentaire de famille, ces gens qu’il photographie, avec une étonnante tranquillité, une sourde banalité.

Teenage Lust est dans la continuité directe de Tulsa, tout aussi agitée, révoltée, sombre et pourtant tintée d’éclats (cette photographie de chien devant une petite falaise, clin d’œil au travail qu’il faisait avec sa mère, cette bande de jeunes qui se roulent nus dans la boue…). Les corps se livrent, de plus en plus, sans réserve et Clark s’interroge comme dans ce diptyque qui présente d’un côté, un jeune garçon en érection, la tête baissée, contemplant son membre viril et de l’autre cette femme sans tête, offrant à tout œil et donc, à tout sexe, son vagin libéré.


















Puis à l’horizontalité se substitue l’agencement, le désordre, le vertical. D’un côté des collages, part atypique et peu connue du travail de Clark où se croisent photographies de casting, trash, journaux ou vinyle. De l’autre, un grand échiquier de photographies d’un même garçon. On ne sait dans quel sens le lire, où commence ni où finit la composition. Ce qu’elle a de passionnant c’est qu’elle semble saisir les mouvements à l’infini, qu’elle donne cette impression de venir d’une pellicule. Comme si étaient affichées là, quelques unes des 24 images secondes d’un petit film. L’agencement donne la sensation du mouvement, Clark usant toute une série de pose pour saisir la moindre variation émotionnelle chez ce jeune protagoniste. A coup sûr, cette série marque la transition vers le cinéma, vers l’animé, vers une autre façon de capter cette jeunesse qu’il aime tant.

Les deux dernières séries le confirment. La première regroupe quelques photographies couleurs et grand format prises sur le tournage de Kids. On y reconnait évidemment le jeune Leo Fitzpatrick, héros du film. La seconde, occupant une salle entière, met en scène une autre figure de l’adolescence à laquelle Clark voue toute une série. Jonathan Velasquez, héros de Wassup Rockers, que Larry a suivi de 2003 à 2006, du gamin duveteux à la crinière blonde au jeune homme au regard perçant.

Changement de ton saisissant. A ce noir et blanc électrique est substituée une couleur vive et chatoyante, lumineuse et saturée. Le cadrage change, le format aussi. De grandes photos qui saisissent des corps qui grandissent, qui s’allongent, qui bougent. En témoigne cette trilogie où Jonathan Velasquez, nu, s’étire et déplace l’air qui l’entoure, symbole de cet état de transition, où les corps muent et expérimentent, où les âmes se forgent et, parfois, se déchirent.

1 commentaire:

Kiga a dit…

Cette ridicule interdiction aux moins de 18ans n'est que purement politique, Delanoë n'a pas su porter ses couilles pour se battre pour la culture, c'est triste. Mais ce n'est franchement pas une surprise, quand on voit la réévaluation de Ken Park aux -18ans. Interdiction qui marque systématiquement le retrait du film, et donc son échec commercial. Pour en revenir a l'exposition, comme le dit Larry, elle devrait être interdite au plus de 18ans, et non pas l'inverse. Étonnant comme la société se refuse d'ouvrir les yeux sur sa jeunesse, la garde dans un cocon nacré en priant pour que les clichés de Clark ne soient que des fantasmes de pédophile raté. Chouette article au passage, qui résume bien la problématique et les ambiguité de cette expo.